Byzance
lentement dans les mâchoires massives des Portes de Cilicie. Haraldr aperçut au loin une immense plaine verte.
Les Sarrasins parurent surgir des rochers. Ils conduisaient leurs chevaux par les rênes ; puis ils montèrent en selle calmement, comme s’ils avaient tout leur temps. Des lames d’acier recourbées se mirent à briller, et des arcs dessinèrent des arabesques sur le ciel. Le domestique, qui se faisait bien voir à quatre coudées devant le reste de ses cavaliers, tenait ses rênes d’une main légère, presque comme s’il se préparait à caresser le visage d’une femme. Les chevaux hennirent, mais aucun homme des deux camps ne souffla mot. Puis le Sarrasin le plus proche, un moricaud au visage d’insecte avec une barbe couleur de charbon et des yeux bordés de blanc, leva les bras et les jambes comme un oiseau à quatre ailes prêt à prendre son vol. Des flèches sifflèrent des carquois.
Au même instant s’éleva une immense clameur. Comme si des montagnes derrière Haraldr et Blymmédès montaient d’énormes voix de métal. Le domestique tourna la tête, stupéfait. Son visage devint violet. Aussitôt, le chef sarrasin laissa retomber ses bras et ses jambes. Il fit pivoter son cheval, et le reste de sa bande tourna bride et disparut dans la poussière et le rocher.
Haraldr n’avait aucune idée du sens précis des jurons que le domestique se mit à hurler, mais aucune traduction n’était nécessaire. Blymmédès éperonna son cheval et rebroussa chemin au galop. Le komès responsable de la vanda ordonna au reste de suivre. Les jurons du domestique furent rapidement avalés par le tintamarre incroyable qui résonnait de rocher en rocher.
Au bout de quelques centaines de mètres, Haraldr retint son cheval et vit enfin d’où venait le bruit. À perte de vue, la route était envahie de cavaliers et de fantassins en armure ; les rangées de soldats en cotte de mailles scintillaient dans la poussière comme des cordons d’argent. À l’avant-garde de cette armée se trouvaient deux douzaines de musiciens équipés de toute sorte de tambours, de cors, de cloches et de sifflets. Haraldr comprit aussitôt ce qu’il avait sous les yeux ; depuis la traversée du Bosphore, l’armée de citoyens de chaque thème provincial s’était portée à la rencontre de la Taghmata impériale dès que la caravane était entrée sur leur territoire, mais chaque fois les lieux de rencontre avaient été préparés avec soin. Ceci constituait une curieuse infraction au protocole et à la discipline militaire.
Le visage livide du domestique était à quelques doigts des traits plutôt bouffis et indolents d’un homme monté sur un immense cheval blanc. Les chevaux piaffaient sur place et Blymmédès hurlait de fureur. L’autre homme se tenait simplement très droit sur sa selle comme un voyageur essayant d’ignorer un chien hargneux. Blymmédès mit fin brusquement à sa diatribe, secoua la tête tel un précepteur navré par la sottise de son élève et fit un signe de la main comme s’il voulait repousser toute l’armée du thème vers le bas de la montagne. L’autre homme ne tint aucun compte de ce geste, passa devant le domestique et s’arrêta juste devant les Excubitores. Haraldr était assez près pour percevoir le parfum qui entourait à la fois le cavalier et le cheval. Avec sa barbe brune impeccablement taillée, l’homme était apprêté comme pour paraître à la cour ; les dragons gravés sur la plaque d’or de sa poitrine luisaient encore sous l’épaisse couche de poussière ; même la bride de son cheval était décorée d’émaux. Ses yeux indigo qui, malgré la mollesse du visage, exprimaient une certaine autorité, passèrent sur les Excubitores, Grégori et Haraldr comme s’ils représentaient collectivement un gros tas de crottin d’âne à éviter. Puis il se retourna vers son armée qui attendait et cria un ordre d’une voix impérieuse. Avec la même cacophonie musicale qui avait annoncé son arrivée, l’armée thématique se mit à redescendre la montagne. Blymmédès repartit vers ses hommes en secouant la tête.
— La prochaine fois, cria-t-il à Haraldr, je vous montrerai comment empêcher l’armée thématique d’effrayer votre gibier quand vous lui avez déjà placé la tête dans la gibecière !
— Qui était cet homme ? demanda Haraldr.
Les yeux du domestique n’exprimèrent que mépris.
— Cet éminent tacticien se nomme Mélétios
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