Byzance
restes-tu ?
Elisevett s’écarta de Haraldr et fit glisser ses doigts sur les perles qui ornaient son col de soie, mettant son soupirant du Nord au défi de répondre à la question – sachant très bien qu’il ne le ferait pas. Elle observa du coin de l’œil les tourments du jeune homme… Le Christ avait répondu à ses prières en lui envoyant ce malheureux Haraldr Nordbrikt.
Il était agréable à voir : grand, doré, large d’épaules et de poitrine, des yeux d’un bleu éblouissant, et cette cicatrice intéressante qui relevait légèrement son sourcil droit. À cause des ambitions effrénées du père d’Elisevett, ces géants du Nord devenaient une vraie épidémie en Rus ces temps-ci. Mais ce qu’il y avait d’étonnant dans le cas de Haraldr Nordbrikt, c’était les réactions à son égard de son père et de sa mère. Elle avait vu son père saisi de rage noire. Si ce simple jeune homme le gênait tellement, pourquoi le grand-prince ne l’envoyait-il pas simplement se battre contre les Petchenègues au lieu de le garder à Kiev pour collecter l’octroi ? Cela réglerait son compte. Et quant à sa mère… Elle caressait le jeune homme du regard à toute occasion – sans rien de lubrique, comme font souvent les femmes de son âge, mais avec l’étrange lueur intérieure de l’amour. Mais si Haraldr était l’amant de sa mère, son père l’aurait également envoyé contre les Petchenègues. Sauf si quelque chose l’en empêchait. Mais quoi ? C’était si mystérieux. Et l’idée que Haraldr Nordbrikt soit l’amant de sa mère était tellement merveilleuse…
Elisevett baissa ses cils sombres, passés à la résine, en une expression de timidité visiblement feinte.
— Je crois que tu restes à cause de moi.
Haraldr aurait voulu crier le grand secret qui chantait dans sa tête. « Rien ne me séparera jamais de toi ! » Mais de la chaux sèche semblait lui bloquer la gorge et il n’en sortit qu’un soupir douloureux.
Elisevett poussa son avantage. Elle sortit de la manche de sa tunique un petit parchemin plié. Dès que Haraldr reconnut la feuille, il fut pris de panique ; pendant un instant il s’imagina en train de plonger par la fenêtre dans la mort. Elisevett plissa les yeux pour déchiffrer le manuscrit en langue slave.
— Qu’est-ce que cette « déesse en anneaux d’or » ? demanda-t-elle.
Haraldr leva la main en un geste d’agonie puis parvint enfin à articuler une syllabe.
— Vous…
Sa main effleura les deux bracelets d’or sur le bras de la jeune fille.
— Vos bracelets. Ce sont des anneaux d’or.
— Comment oses-tu me montrer du doigt comme si j’étais une servante ? lança Elisevett. Mon père te ferait fouetter sur la place de Podolie s’il savait que tu m’as envoyé des vers.
Elle baissa la tête un long moment et se demanda ce qu’elle verrait quand elle parviendrait à son but. Serait-il assez téméraire – et sot – pour la suivre ? Elle releva la tête et ouvrit tout grands ses yeux d’un bleu de fumée.
— Les ambassades n’ont pas cessé de venir depuis que j’ai eu quatre mois. Il y a trois semaines le prince de Hongrie. L’automne dernier, un roi de Langobardie. Je suis la troisième fille du grand-prince, et je serai vendue à l’encan comme une kholopy aux fers sur le marché de la place de Podolie, afin de mettre au monde la portée de gorets d’un quelconque tyranneau aux habitudes de porc. Les présents qu’ils ont envoyés à mon père emplissent déjà un entrepôt.
Elle baissa la voix en un mystérieux soupir.
— Tu es le premier à m’envoyer quelque chose d’interdit… Des vers de ta main.
Le cœur de Haraldr palpita dans sa poitrine comme un oiseau en cage. La vie qui s’était achevée pour lui à Stiklestad, quatre ans plus tôt, pouvait recommencer. « Vision de neige aux anneaux d’or, je ne suis pas digne de toi, mais tu as accepté mes vers. »
— Touche-moi.
Comme par une conjuration de sorcier, la robe écarlate glissa sur les genoux d’Elisevett et révéla plusieurs pouces de cuisse ferme et pâle. Le murmure dans sa gorge semblait une fourrure de chat.
— Touche-moi.
Haraldr retint son souffle. L’air humide collait dans sa gorge. Pas dans ce lieu saint. Et avec la hache du grand-prince Iaroslav suspendue au-dessus de sa tête.
— Si tu ne le fais pas, je dirai à mon père que tu l’as fait.
Haraldr sentit une perle de sueur rouler le long de
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