Byzance
avait subi le châtiment de quatre années de malheur.
— Taisez-vous, Iaroslav.
Haraldr, terrifié, se tourna vers l’angle sombre d’où venait la voix. Ingigerd, reine de Rus, drapait sa haute taille dans une grande cape. Haraldr n’avait pas remarqué sa présence quand il était entré. Elle venait de se lever de son siège.
— Vous saviez que je n’étais pas pure avant de m’accepter. Et c’est à vous que j’ai donné quatre fils et trois filles. Mon père, qui m’a interdit d’épouser l’homme qui m’avait touchée le premier, vous a envoyé pour dot les mercenaires suédois qui ont vaincu votre frère Sviatopolk. Et c’est mon amant Olaf qui a envoyé son ami Eymund pour prendre Novgorod et vous l’offrir.
Ingigerd s’avança vers la lumière et posa les mains sur ses seins, bas et fripés, que les hommes appelaient jadis les cimes neigeuses de Suède.
— Ta dynastie est bâtie sur cette chair corrompue, grand-prince.
Iaroslav retourna à son fauteuil et s’assit, plus voûté que jamais. Il regrettait amèrement que la vue de cet excrément royal de Norvège ait provoqué un étalage inconsidéré de ses anciennes jalousies. Il réfléchit au conseil que lui avait donné son épouse dans la matinée, quand Elisevett était venue lui faire part une fois de plus de ses récriminations. Ingigerd lui avait fait remarquer que Haraldr était l’héritier légitime de la couronne de Norvège. Et qu’un concours militaire efficace des peuples du Nord – comme celui que pourrait offrir un gendre – était essentiel à la survie de la dynastie. Ensuite Elisevett n’était pas un joyau bien précieux : une troisième fille, pas plus, et si ses reins précoces pouvaient faciliter la conclusion d’une alliance, son caractère impulsif risquait de la briser aussi vite. Mais le problème de ce mariage – comme toutes les affaires d’État – était essentiellement pécuniaire.
Pour le moment, Haraldr n’avait à offrir qu’un passif. Réclamer son trône exigerait une fortune considérable, et en ce moment même Haraldr valait plus cher mort que vivant. Sa tête avait été mise à prix pour la somme fabuleuse de mille besants d’or, et tous les Nordiques de Rus semblaient bien décidés à s’approprier la prime – les patriotes norvégiens mis à part. Iaroslav lui-même avait été plus d’une fois tenté de résoudre plusieurs de ses problèmes d’un coup en livrant le prince de Norvège. Bien entendu, son épouse l’aurait étripé, et mieux valait donc qu’il eût résisté… Mais si Haraldr était capable de financer lui-même la reconquête de la Norvège, il valait bien le risque d’une troisième fille. Il faudrait évidemment que ce soit très vite, tant qu’Elisevett était encore jeune ; sans un héritier pour lier la Norvège au pays de Rus, la combinaison serait sans effet. En fait, il y avait un seul endroit au monde où un proscrit comme Haraldr pourrait acquérir une fortune du jour au lendemain. Et si Haraldr ne revenait jamais du voyage, qu’y aurait-il de perdu ? Elisevett avait des dizaines d’autres prétendants.
— Haraldr, mon père a épousé pas moins que la fille de l’empereur grec. Sais-tu ce qu’il a donné à l’empereur en échange de sa fille ? Cherson. La capitale de la Chersonèse.
Haraldr lança à Iaroslav un regard fou. Il avait envie de crier : « Je vous donnerai un pays entier ! Le Danemark, le pays des Angles ou celui des Bulgares. »
— Haraldr, il me suffirait de savoir que mon petit-fils recevrait la Norvège en héritage. Mais en ce moment, tu n’es le souverain de rien en dehors de tes propres bottes. Et je ne saurais me charger de te défendre contre tes légions d’ennemis alors que mes propres cités sont assiégées par des Petchenègues, et que j’ai besoin de l’appui de tous les hommes du Nord pour débarrasser Rus de cette horde païenne sans cesse menaçante.
Il soupira, comme s’il avait du mal à poursuivre.
— Tu sais, bien entendu, quelle fortune vaudrait ton cadavre. J’ai l’impression que si tu restes ici, tu finiras par être découvert. Ce n’est plus qu’une question de temps. Hier, j’ai reçu une lettre d’un jarl de Danemark qui a servi vaillamment dans ma Droujina, à Novgorod – je ne te révélerai pas son nom, comme je ne lui révélerai pas le tien – , une lettre me demandant si je n’héberge pas le prince de Norvège à ma cour. Il y a une
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