Byzance
l’occasion de sonder les profondeurs de leur destin commun.
— Là !
Blymmédès se souleva sur ses étriers et tendit le bras vers des cimes déchiquetées qui repoussaient la route côtière contre la bande azurée de la mer. Haraldr ne vit rien, mais Blymmédès lui assura qu’un important contingent de Sarrasins soulevait de la poussière dans les hauteurs.
— Nous sommes vulnérables depuis que nous avons tourné vers le sud à Laodicée. Ils nous attendent.
— Je vais auprès de l’impératrice, dit Haraldr.
Il fit signe à Grégori de le suivre, éperonna et dépassa l’immense train de bagages de l’armée thématique d’Attaliétès. « Incroyable », se dit-il en voyant les tapis, les coussins, les amphores de vin que ces soi-disant soldats avaient emportés. Avant même qu’il ait remonté la moitié de la file de wagons et de mulets de l’armée thématique, deux akritès le croisèrent, manteau flottant au vent, chevaux couverts d’écume. Quelques minutes plus tard, Blymmédès survint au galop et dépassa Haraldr dans un tourbillon.
Celui-ci fouetta son cheval pour le rattraper, mais quand il atteignit les voitures impériales, le domestique avait déjà mis pied à terre, arrêté la caravane et se trouvait en grande discussion avec Siméon et Mélétios Attaliétès dans son armure resplendissante ; Halldor, qui était resté auprès de la voiture de l’impératrice, ne pouvait rien comprendre. Grégori arriva moins d’une minute plus tard, mais, même sans son interprète, Haraldr avait déjà deviné que la discussion portait sur les dispositions à prendre pour se défendre contre une attaque imminente.
— Si je comprends bien, expliqua Grégori en reprenant son souffle, le domestique Blymmédès désire réserver la moitié de ses forces pour protéger l’impératrice si les Sarrasins attaquent les voitures impériales ; et s’ils capturent une partie du train des bagages, il pourra les poursuivre quand ils seront alourdis par le butin. Le stratège Attaliétès le lui interdit. Il ordonne au domestique Blymmédès d’utiliser toutes ses forces pour garder le train des bagages impériaux. Du point de vue du stratège Attaliétès, la question est réglée.
Blymmédès continua de défendre à grand renfort de gestes le principe de sa stratégie, mais Attaliétès resta bras croisés et le nez en l’air. Blymmédès se tut enfin, frappa du pied dans la poussière et s’éloigna. Attaliétès s’adressa alors à Siméon.
— Ça ne va pas vous plaire, Haraldr Nordbrikt. Le stratège suggère que l’impératrice, par l’entremise de son chambellan Siméon, ordonne aux Varègues de garder… de garder l’armée thématique.
Grégori se racla la gorge, visiblement inquiet.
— Excusez-moi, je suis gêné, reprit-il, mais pour être tout à fait clair… de garder le train des bagages de l’armée thématique.
Haraldr ne put contenir sa rage un seul instant.
— Siméon, cria-t-il, l’empereur en personne m’a ordonné d’offrir ma vie et celle de mes hommes pour la défense de notre Mère ! Je ne garderai pas des ânes pendant que l’impératrice se trouvera sans défense !
Haraldr s’avança vers Attaliétès et fusilla du regard le stratège arrogant, satisfait de lire dans ses yeux une étincelle de frayeur.
— Siméon, vous direz à ce paon prétentieux que nous mourrons plutôt que d’abandonner la personne de l’impératrice, et si le stratège Attaliétès désire qu’il en soit autrement, il devra d’abord convaincre mon épée !
Haraldr n’ajouta pas qu’il y avait maintenant dans la voiture impériale une autre vie pour laquelle il sacrifierait la sienne mille fois.
Grégori traduisit avec une passion admirable. Le front pâle d’Attaliétès se colora, Blymmédès ne tenta nullement de dissimuler un sourire, et Siméon regarda Haraldr comme s’il s’était vêtu de soie rouge pour un banquet impérial. Ses doigts sans vie se crispèrent soudain, il fit quelques pas vers la voiture de Sa Majesté impériale et frappa à la fenêtre. La porte s’entrouvrit et Siméon passa la tête à l’intérieur. Au bout d’un instant, il recula vers le groupe des soldats toujours silencieux, et reprit son expression habituelle. Il ne dit rien.
La portière de la voiture impériale s’ouvrit. On posa un escabeau de bois doré dans la poussière. Léo descendit, en soie blanche étincelante, suivi de Théodore porteur d’une
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