Byzance
pied à terre et forma la ligne de défense face à la mer comme Blymmédès l’avait suggéré. Il plaça les archers derrière la première rangée d’hommes armés de lances et de boucliers. Derrière les archers, les mules surchargées brayaient, et les muletiers échangeaient des murmures nerveux. Haraldr vint se replacer à cheval à la tête de ses Varègues, se dressa sur ses étriers, l’âme partagée entre un désespoir extrême et la nécessité d’une exhortation au combat qui humilierait ses hommes encore plus. Ils savaient qu’ils exposaient leur vie pour défendre des mules et des tapis.
— Cette fois, les hommes de Mahomet ne seront pas des fantômes, lança-t-il d’une voix égale comme s’il donnait des instructions de routine. Souvenez-vous, nous devons d’abord abattre les chevaux, avec nos flèches, puis avec nos lances. Ensuite, si les hommes décident d’attaquer malgré tout, nous leur ferons goûter l’acier du pays des Huns !
Haraldr s’attendait à cette réaction mitigée mais les murmures ne firent qu’augmenter son angoisse. « Les hommes ont les meilleures raisons du monde de se montrer découragés, se dit-il, comme des étalons à qui l’on demande de tirer la charrue à côté du bœuf et de la mule. »
Au bout d’un quart d’heure, le bruit monta du côté de la mer. Au début, ce fut comme un vent sifflant par une ouverture étroite, mais cela augmenta très vite et l’on distingua les cris d’un énorme troupeau en colère. Un voile couleur de rouille s’éleva bientôt au-dessus de la mer, puis le nuage de poussière avala le soleil. Le bruit semblait avancer et reculer en une horrible plainte stridente. L’armée sarrasine progressait à une allure qui semblait irréelle, comme si la nature avait en quelque manière comprimé le temps. Ils étaient habillés à peu près comme les akritès des Romains, blanc et argent ; les casques et les cimeterres courbes scintillaient devant le nuage de poussière qu’ils paraissaient gagner de vitesse. Leur hurlement fantastique, qui s’élevait et retombait en un rythme violent, faisait grincer les nerfs. Haraldr, debout au centre de son mur varègue, le bouclier en place, donna à ses archers l’ordre de tirer. Presque au même instant, les énormes chevaux blancs, noirs et gris pommelé de l’avant-garde sarrasine culbutèrent, pattes en l’air, gigotant comme des insectes. Mais le reste bondit par-dessus les poitrails et les cavaliers malchanceux, sans tenter d’éviter leurs compagnons d’armes. Haraldr fit un pas en avant et bloqua sa lance. Des flèches crépitèrent contre les boucliers varègues. Haraldr se demanda comment des hommes à cheval pouvaient tirer à Tare de manière si prodigieuse. Mais la salve suivante des Varègues abattit une autre rangée de cavaliers. Le reste continua d’avancer, déjà à moins de cent coudées.
Soudain, les cavaliers tournèrent brusquement en lançant leurs épieux légers contre les boucliers varègues. Ils obliquèrent vers le nord. Nouvelle salve des archers varègues, puis chevaux et cavaliers commencèrent à s’entasser. Les rangs suivants refusèrent d’avancer au-delà du parapet de chevaux abattus. Les flèches sarrasines continuaient de pleuvoir avec une violence surprenante contre le mur de boucliers des hommes du Nord, mais Haraldr ne vit pas un seul Varègue touché. Il cria à Halldor et à Ulfr de venir vers le centre.
— Avons-nous abattu assez de leurs chevaux ? demanda Halldor sèchement.
Haraldr secoua la tête.
— Ils ont l’air plein d’audace. Même à portée de nos flèches. Peut-être essaient-ils de provoquer une contre-attaque de notre part… Kristr !
L’estomac de Haraldr se noua ; il venait de comprendre.
— Ce n’est qu’une feinte ! L’impératrice !
Haraldr releva la tête en arrière et hurla pour être entendu par tous les Varègues par-dessus les piaillements cataclysmiques des Sarrasins.
— Le sanglier !
Presque instantanément, la ligne des Varègues se reforma en forme de coin impénétrable imitant le groin d’un sanglier. Haraldr se mit à la tête, flanqué par Halldor et Ulfr. Les Sarrasins se turent un instant, tandis que les haches varègues frappaient les boucliers. Puis le sanglier s’élança vers le sud, et les cavaliers sarrasins en fureur se précipitèrent pour lui aplatir le groin.
Haraldr n’aurait su dire pendant combien de temps la Rage se saisit de lui. Il était
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