Byzance
préfet pour avoir acheté des porcs en dehors de la ville à des prix inférieurs au cours officiellement imposé, puis en les revendant avec un bénéfice exorbitant dans sa boutique de la ville. Bien entendu, ce n’était pas pour ce délit qu’il avait été condamné, mais pour avoir refusé de partager avec le préfet une part de ce profit illicite. Joannès avait trouvé le Boucher dans la tour du Néorion où il flânait souvent à la recherche d’agents capables de mettre en œuvre ses nombreuses politiques. Et à présent, le Boucher était encore une sorte de boucher.
Joannès s’avança et posa ses doigts grotesques sur l’épaule puissante de l’homme.
— Tout l’après-midi, j’ai prié devant le Saint Voile, j’ai supplié la Sainte Mère de me donner la force de transmettre mon chagrin à mes amis de la ville qui doivent être les premiers à connaître cet événement déplorable… Notre Mère née dans la pourpre a été violée par les Sarrasins, ajouta-t-il en baissant la voix.
Les yeux du Boucher se figèrent soudain sous le choc, puis s’emplirent de larmes.
— Théotokos, Théotokos, Théotokos, gémit-il sans retenue. Ô je vous en supplie, Sainte Mère de Dieu, épargnez notre Mère, épargnez notre Mère… Ô Théotokos, Théotokos, Théotokos… Ma Mère, ma Mère.
Le Boucher se frappa la poitrine avec ses poings, s’écroula à genoux, et se mit à déchirer le devant de sa tunique en lambeaux. Joannès le regarda. Il avait comme toujours beaucoup de mal à croire en la dévotion de la racaille pour la catin peinturlurée qu’ils appelaient leur Mère. Dans le cas de Zoé ce n’était pas seulement l’association, datant de plusieurs siècles, entre l’impératrice des Romains, Mère de son peuple, et l’impératrice du Ciel et Mère de Dieu. Zoé, née dans la pourpre, était l’héritière du Bulgaroctone qui avait généreusement, et souvent sans pitié, protégé des abus des dynatoï le peuple de sa ville et de son empire. En voyant le Boucher gémir ainsi devant lui, Joannès se rappela de nouveau qu’il faudrait exciser la dynastie macédonienne du cœur des masses populaires avec la plus grande des précisions chirurgicales.
Joannès s’agenouilla près du Boucher en sanglots et prit entre ses mains la grosse tête rougeaude.
— Mon frère, mon frère, dit-il d’une voix grave, pareille à un tremblement de terre lointain. Ne craignez rien pour notre Mère. J’ai déjà envoyé le grand domestique et notre Taghmata impériale au secours de sa personne sacrée.
Le Boucher lui adressa un regard de reconnaissance.
— Oui, mon frère. Songeons maintenant à transformer nos larmes en une juste vengeance. Il y a des responsables.
Le Boucher se raidit.
— Oui, c’est le dynatoï Mélétios Attaliétès, qui a odieusement abandonné notre Mère bénie aux hérétiques impurs. Ce vil mécréant se trouve maintenant au-delà de notre atteinte, mais le père, le démon qui a manigancé ce complot contre notre Mère, est encore à notre portée.
Le Boucher se releva soudain, ses doigts se tordant dans un geste de strangulation.
— Tenez, s’écria Joannès. Regardez-le !
Il étendit le bras vers un angle sombre de l’antichambre.
— L’archange Michel ! Il apparaît pour vous montrer du doigt ceux contre qui doit s’exercer votre vengeance, ceux qui, après vous avoir privé de tout sauf de l’amour de votre Mère, désirent maintenant vous priver de votre impératrice ! Allez voir vos amis dans la ville et dites-leur ce que l’archange vous a ordonné de faire !
— L’archange Michel, le messager de Dieu ! rugit le Boucher, son regard exalté fixé sur l’angle vide.
* *
*
L’augusta Théodora croisa ses longs bras sur son buste gracile, les muscles crispés par la douleur, comme si elle essayait d’écraser ses côtes. Les larmes de chagrin dans ses yeux la faisaient paraître soudain beaucoup plus jeune, presque adolescente.
— Merci de me l’avoir appris vous-même, mon père. Vous savez à quel point vos conseils sont le baume de toutes mes inquiétudes.
Alexios, patriarche de la Vraie Foi œcuménique, orthodoxe et catholique, sourit aimablement. Il était venu au palais de campagne de Théodora dès que ses informateurs du Palais de la Magnara lui avaient annoncé la nouvelle de l’enlèvement de Zoé. Le patriarche ne trahissait aucun signe de fatigue après sa longue nuit sur la route. Il avait un visage
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