Byzance
n’est qu’à huit lieues d’Alep. Pourquoi s’arrêteraient-ils si près de leur but ?
— N’avez-vous jamais envoyé de patrouille en reconnaissance au-delà de Harim ? s’étonna Blymmédès.
Les Sarrasins contrôlaient le pays à quelques lieues seulement d’Antioche vers l’est, mais Constantin ne semblait pas s’être soucié de ce que les infidèles manigançaient devant sa propre porte.
— Nos percepteurs d’impôts ne vont plus dans cette direction, répondit Constantin. Nous n’avons pas besoin de ces revenus, et peu de paysans cultivent les terres par là-bas, sans rien pour les protéger sauf les ruines du kastron près d’Harim (un kastron était une place fortifiée). Je suppose que vous suggéreriez la reconstruction du kastron ? Le coût ne serait pas compensé par l’augmentation des revenus fiscaux. Vous devriez vous concentrer sur les questions militaires, domestique, que vous semblez d’ailleurs assez mal dominer. Laissez l’administration civile à ceux qui ont la compétence requise.
— Vous n’aurez nul besoin de reconstruire le kastron, stratège. Mes akritès l’ont vu récemment. Les Sarrasins l’ont reconstruit à votre place.
Pendant un instant, Constantin refusa de croire Blymmédès.
— Vous pensez donc qu’ils s’arrêteront au kastron ? Mais si c’est une forteresse si menaçante, comment espérez-vous l’assiéger avec plusieurs droungos de cavalerie légère déjà épuisés ?
— Je crois que si nous apparaissons, ils ne bougeront pas. Nous aurons alors le temps de faire venir les machines de siège et d’attaquer les murailles.
Constantin plissa le front, en essayant de donner un sens à cette nouvelle musique. Elle devenait de plus en plus séduisante à son oreille. Oui, fort agréable. Une fois les machines de siège en place, le chef des Seldjouks serait obligé de négocier indépendamment de son accord avec l’émir d’Alep. On pourrait le convaincre de rendre sa prise à un prix nettement inférieur. Et l’émir ne pourrait pas protester, parce qu’il avait déjà reçu un paiement partiel et serait soulagé de ne pas avoir à le partager avec ses alliés seldjouks. Bien entendu, l’énorme somme économisée ainsi retournerait au trésor spécial de Joannès, moins une coquette récompense pour l’artisan extraordinairement subtil de cette heureuse issue. Une musique très douce, vraiment. Mais que se passerait-il si ces animaux seldjouks ne se montraient pas raisonnables ? Ma foi, il fallait prendre des risques ou bien rester à Antioche à jamais. De toute manière, il y avait un moyen assez facile de s’en tirer indemne.
Constantin se redressa.
— Je suis entièrement de votre avis, domestique. Mais comme pour l’instant vos intentions sont simplement d’effrayer les infidèles pour qu’ils restent dans le kastron, je pense qu’il serait plus sage que je me retire avec mes forces vers Antioche et que je commence à réunir le matériel de siège approprié.
Constantin tira sur les rênes de son cheval et fit volte-face sans attendre une réponse.
* *
*
— Quel homme répugnant !
Zoé enveloppa davantage son visage dans son voile. Ses yeux bleus brillaient comme des joyaux dans la pièce sordide. L’eunuque, qui parlait seulement le dialecte arabe local, posa le plateau d’argent puis s’inclina et se retira comme s’il venait de recevoir un remerciement.
Maria, assise en tailleur sur un coussin de toile taché, dévisageait d’un œil impudent les quatre Sarrasines assises en face d’elle contre le mur. Le plâtre était neuf, mais la tapisserie qui en recouvrait la plus grande partie était mangée des mites et fanée.
— Vous vous rendez compte, dit Zoé d’un ton léger. J’avais entendu dire qu’ils traitaient leurs femmes comme de vrais bijoux, mais les ambassadeurs et les émirs que nous avons reçus étaient toujours si civilisés… Ici, ils sont manifestement moins prévenants. Je suis certaine que leurs étables sont plus propres que les logements de leurs femmes. Naturellement, s’ils avaient le choix, les brutes qui ont décampé avec nous auraient préféré les charmes de leurs étalons à ces truies engraissées qu’ils appellent leurs épouses.
Les Sarrasines, trois gamines joufflues à peine pubères et une jolie jeune femme au teint sombre, émirent timidement quelques rires nerveux sans comprendre les gestes de dégoût de l’impératrice, puis elles continuèrent de
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