Byzance
ne sommes qu’à deux journées de Nicée. Dans une semaine nous arriverons dans la Reine des Villes. J’ai hâte de me retrouver chez moi. Est-ce que votre pays vous manque ?
— Oui.
— Vous vous rappelez le stade de Daphné ?
— Oui. Je me souviens de tout ce qui s’est passé à Daphné.
Les joues de Maria prirent peut-être un peu plus de couleur, à moins que ce ne fût la lueur des brasiers.
— Nous avons entendu ensemble les échos des acclamations qui saluaient les héros de l’ancienne Hellade et de l’ancienne Rome. Quand nous retournerons dans la Ville impériale, vous serez le héros de la Nouvelle Rome. Dans les rues, le peuple chantera vôtre nom.
Elle leva les yeux vers lui pour la première fois.
— Qui marchera un jour dans ces ruines pour écouter votre nom ? Existera-t-il alors des amants comme nous en quête de leur propre destin ?
Haraldr sentit son cœur battre plus vite. Elle reconnaissait ce qui s’était passé. Nous … Pourtant, ils n’étaient plus nous mais un seul être, une nouvelle âme née en ce terrible instant.
— Je connais mon destin, lui dit-il doucement.
— Oui. Moi aussi. Venez dans mon lit.
Elle se leva brusquement. Haraldr bondit et tendit vers elle une main tremblante. Maria s’écarta.
— Non. Vous devez me promettre de ne pas me toucher, sauf à l’endroit où je vous toucherai. Et vous ne pourrez pas me poser de questions, sauf celles que je vous poserai.
Puis elle lui toucha la main avec les brandons brûlants de ses doigts.
La chambre du pavillon impérial n’avait guère de place que pour un grand lit au cadre de bois recouvert d’épaisses couvertures de duvet. Il n’y avait aucune lumière, ni lampe ni brasero, mais la pièce était assez chaude. Maria, debout, tint la main de Haraldr dans le noir pendant plusieurs minutes. Il l’entendait respirer, mais sinon le silence était absolu. Comme s’il se trouvait seul dans l’immensité de l’Asie Mineure.
Elle lui lâcha la main. Il entrevit le mouvement et entendit le soupir de la soie quand elle ôta son manteau. Il sentit qu’elle était nue. Sa forme vague disparut et les couvertures frémirent. Du lit, elle dit :
— Venez à moi comme Héraclès.
Haraldr se mit aussi nu que la statue et se dirigea à tâtons vers le lit. Il s’allongea doucement, pour ne pas rompre l’étrange charme imposé par Maria. Au bout de quelques minutes, elle lui reprit la main. Elle soupira. Ou peut-être était-ce un sanglot assourdi. Ensuite, elle se mit à explorer son bras.
Le temps resta en suspens. Elle dessina chaque veine, chaque pli, le contour de chaque muscle, et en retour, il s’empara du même territoire. Pendant combien de temps flottèrent-ils dans l’oubli noir avant qu’elle lui caresse la poitrine et appuie sa paume de satin contre ses pectoraux ? Combien de temps avant que ses doigts glissent sur son ventre ? Puis le rituel se répéta, cette fois avec les lèvres à la place des doigts.
— Tu es mon ange, murmura-t-elle. Mon vengeur et mon destructeur. Je t’aime.
Puis elle l’attira contre elle. Pendant combien de temps demeurèrent-ils bercés dans cette mer tiède ? Le temps sans fin de la dissolution complète de la chair. Puis ils frémirent légèrement et cessèrent d’être, épuisés.
— Qui es-tu ?
Haraldr sursauta ; il devait somnoler. Était-ce un rêve ?
— Qui êtes-vous ? Vous n’êtes pas un homme du pays de Rus.
Haraldr sentit les yeux de Maria sur lui. Pendant un instant, il envisagea de tout lui dire. Mais les serments qu’il avait faits de garder le secret étaient trop puissants – et le risque trop grand en dépit de l’amour. Puis il prit conscience d’une nouvelle vérité, une vérité stupéfiante. L’amour de Maria exigeait son silence : dans les bras de Maria, il voulait demeurer Haraldr Nordbrikt. Dans ses bras, il voulait mettre fin à la fuite qui avait commencé à Stiklestad, il voulait rester ici parmi les Romains, devenir civilisé, servir sa Mère et son Père. Et l’aimer, elle, ici et pour toujours. Il savait qu’il ne pourrait partager indéfiniment ses deux amours, la Norvège et Maria. Mais il les perdrait tous les deux s’il lui disait tout à présent.
— Je ne peux pas vous dire qui je suis.
Elle se blottit contre lui, appuya les lèvres doucement contre son cou. Il enfouit son visage dans ses cheveux brillants et lui murmura à l’oreille :
— Et vous, qui
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