Byzance

homme du Nord ne pourrait acquérir, quelle que soit la puissance de son épée ou la vivacité de son intelligence. Et ce serait leur faire insulte à tous deux que d’y faire allusion. À la place, il proposa une forme d’alliance plus subtile.
    — Aurai-je l’audace de reconnaître que j’envie l’amitié que vous partagez avec le patriarche de la Vraie Foi œcuménique, orthodoxe et catholique ?
    Le sourire de Théodora révéla des dents petites, irrégulières.
    — Vous êtes devenu tellement plus intéressant que lors de notre précédente entrevue, hétaïrarque. Vous êtes devenu tellement plus… romain.
    « Ainsi, se dit-elle, l’hétaïrarque est assez subtil pour ne pas proposer de faire de moi une impératrice. » Elle n’avait nulle intention de renverser sa sœur, même si les mensonges entretenus par Joannès avaient convaincu Zoé du contraire. Mais comme la défense de l’Unique Vraie Foi serait renforcée si la puissante épée spirituelle du patriarche Alexios pouvait recevoir l’appui de la puissante épée séculière de l’hétaïrarque !
    Théodora fit signe à son eunuque Emmanuel.
    —  Keleusate , psalmodia le chambellan en prenant un air important.
    Mar se leva, et Théodora, le visage animé, se dirigea vers lui d’une démarche d’adolescente.
    — Hétaïrarque, je demanderai à notre patriarche de vous instruire dans la Vraie Foi œcuménique, orthodoxe et catholique. Étrange, je vous avais toujours pris pour un païen invétéré.
    * *
*
    — Il est là, chuchota le moine, Cosmas Tzintzulucès. Il vous attend dans le ciborium.
    Michel, Seigneur du Monde entier, empereur, autocrate et basileus des Romains, entra dans la nef de l’église Saint-Démétrios, à Salonique. Les saints, la Sainte Vierge et le Pantocrator des fresques semblèrent l’accueillir en ami. L’empereur appréciait énormément la splendeur familière de ce qui était en train de devenir sinon sa demeure, du moins son sanctuaire. Il ne venait pas chercher ici un renouveau – il n’en espérait pas tant – mais du soulagement. Le ciborium, temple hexagonal miniature, se trouvait au centre de la nef. Le moine ouvrit la porte et l’empereur entra. Il tomba à genoux devant le petit reposoir d’argent. Il n’avait pas besoin de voir la présence physique de saint Démétrios pour savoir que le plus saint des martyrs et le plus puissant des saints était spirituellement présent. La parousie de saint Démétrios, son accès au Père céleste, était démontrée sans l’ombre d’un doute. Combien de fois avait-il sauvé Salonique des Bulgares ? Combien de tourments de la chair avait-il apaisés avec son huile bénéfique ? Combien de péchés de la chair avait-il absous avec ses eaux purificatrices ? « Guéris-moi, absous-moi, supplia le Seigneur du Monde entier en une prière silencieuse et désespérée. Je sais que tu t’es avancé vers le trône du ciel très souvent en mon nom, bien-aimé martyr. Tu as présenté ma défense à la Trinité divine avec tant de miséricorde et de conviction que mon cœur éclate de reconnaissance pour tes saints offices. Et pourtant je continue de souffrir. Et pourtant, je ne suis pas pardonné. »
    Tzintzulucès s’agenouilla à côté de l’empereur, se signa et s’inclina en prière. Il prit les mains puissantes de l’empereur dans ses doigts fragiles et les attira doucement vers le reposoir d’argent vide.
    — Laissez-le vous toucher, murmura le moine. D’une main, il tient celle de notre Père tout-puissant, de l’autre il cherche votre main mortelle. Tendez-lui la main.
    Les doigts de l’empereur tremblèrent légèrement. Il soupira. Pendant un instant la douleur fut déchirante, comme si son crâne brûlant allait éclater. Puis elle cessa : le péché était trop grand.
    Le moine regarda anxieusement cet être humain qui souffrait près de lui. Oui, songea Tzintzulucès, il pouvait sans blasphème considérer l’autocrate comme un homme beaucoup plus humble, comme un simple novice dans l’ordre monastique universel. Car le jour où le Christ Roi le convoquerait, le roi du monde devrait apparaître devant le tribunal céleste aussi nu que le plus simple mortel.
    — Laissez-le vous guider, murmura le moine.
    L’empereur repoussa la douleur brûlante qui dissipait sa vision. Puis le saint martyr parla, apaisa, guida. Sa voix, transmise par l’éther spirituel au sein duquel il résidait, se glissa à travers