Byzance
l’écorce dure de la douleur qui accablait le cerveau de l’empereur.
« Confessez », murmurait saint Démétrios en une mélodie merveilleuse qui ressemblait davantage à de la musique qu’à une voix. « Confessez. »
L’empereur en transe laissa Tzintzulucès le soulever et le conduire dans la crypte derrière l’autel, à l’endroit même où Démétrios avait accepté le saint martyre. Ils s’arrêtèrent devant les fonds de marbre ; l’huile sainte du saint brillait, parfumée, légèrement dorée. L’empereur s’agenouilla de nouveau.
Quand il releva les yeux, deux saints hommes étaient devant lui. Ces deux saints vivants avaient des barbes impressionnantes et des crinières hirsutes où pullulaient des poux ; ils semblaient aussi desséchés que des lézards du désert. Le plus grand portait une sorte de pagne sale, l’autre une tunique grossière en haillons. Si l’empereur remarqua leur odeur nauséabonde, il ne le trahit point. Il se tourna vers Tzintzulucès, les mains crispées devant la poitrine, les yeux emplis de larmes.
— Ce sont de nouveaux trésors, murmura l’empereur d’une voix rauque, et il se mit à pleurer.
— Oui, oui, chuchota Tzintzulucès, dont les yeux brillèrent d’adoration et de ravissement. David et Siméon. Le premier est un dendrite ; l’autre, comme vous l’avez sans doute appris, est le stylite d’Andrinople, le Siméon même dont la renommée commence à se répandre dans toute la chrétienté. Ils ont abandonné leur retraite pour se porter au secours du plus sacré de tous leurs frères.
Tzintzulucès se détourna un instant tandis qu’un prêtre en vêtement de soie posait un seau d’argent, une éponge et une serviette à côté de l’empereur.
L’empereur écarta les bras et ses yeux passèrent d’un saint homme à l’autre, un peu comme un noceur ivre forcé à choisir entre deux courtisanes également désirables. Il se décida enfin pour le plus petit, celui qui portait tunique. Les cheveux et les jambes nues de David le dendrite étaient souillés par les crottes des oiseaux qui depuis quatre ans partageaient sa demeure – un arbre solitaire aux environs d’un petit village d’Anatolie. On rapportait que le vertueux renoncement du dendrite avait valu la prospérité à tout le thème de Charsianon. D’un geste presque réflexe, l’empereur tendit la main vers le seau et se mit à éponger la saleté et les crottes des pieds et des jambes du saint homme. Il caressa les chevilles brunes du dendrite et passa l’éponge entre ses orteils noueux. Le regard de l’empereur semblait tendre, et surtout reconnaissant.
Quand il eut essuyé avec soin les pieds de David, l’empereur se tourna vers Siméon. Le stylite avait vécu dans la solitude en haut d’une colonne de pierre pendant treize ans. L’empereur médita sur la sainteté de ce nombre, celui des douze apôtres plus leur Seigneur. Nul ne doutait que Siméon le stylite avait béni le monde de ses grâces. Des centaines de guérisons miraculeuses avaient déjà été attribuées à son contact. En échange, Siméon avait donné sa propre chair ; ses orteils, mangés par les asticots qui vivaient dans l’ordure – sa propre ordure – à ses pieds, n’étaient que des moignons à vif. Délirant de joie à la vue de cette preuve d’une mortification sacrée, déchiré par la culpabilité des crimes que sa propre chair lui avait dictés, l’empereur se pencha sur les pieds grotesques, encroûtés de saleté, du stylite Siméon. Il baisa ces pieds, il les baigna de ses larmes, il les enduisit de l’huile dorée de Saint-Démétrios.
Enfin l’empereur tourna son visage inondé de larmes vers Tzintzulucès. Il dut faire effort pour maîtriser ses sanglots.
— Vous savez pourquoi le Pantocrator m’a frappé de son éclair, de cette folie qui tombe sur moi de plus en plus souvent, n’est-ce pas ?
— Pourquoi, frère ? demanda Tzintzulucès doucement.
— Je me suis livré à des relations adultères avec elle, alors même que j’étais au service de son mari Romanos. Romanos qui m’a précédé sous le diadème impérial. Romanos dont j’étais le serviteur et l’ami.
L’empereur haleta comme si l’air lui manquait.
— Romanos finit par soupçonner nos relations scandaleuses, illicites et… oui, indignes, il m’interrogea à ce sujet et… oui, j’ai nié mes crimes en jurant sur les saintes reliques ! Si je n’étais pas déjà
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