Byzance
vous souvenir que l’impératrice ne vous a pas demandé elle-même d’assassiner qui que ce soit. Je connais cette femme, Maria – quoique moins bien que vous, à mon plus grand regret. Et je ne crois pas la calomnier en disant que sa beauté n’est égale qu’à son impétuosité, son audace. Pardonnez-moi, camarade, mais elle a la réputation d’être une femme de grande passion et de peu de discrétion. J’espère que je ne vous blesse point, mais quand elle était adolescente, il y a sept ou huit ans, j’étais alors décurion de la Garde, elle a pris pour amant un distingué sénateur et commandant de l’armée. Je ne peux pas dire avec certitude qui a assassiné cet homme, mais on sait qu’elle s’était rendue dans ses appartements peu de temps avant qu’on ne le retrouve poignardé à mort. Bien entendu, l’impératrice a protégé la jeune fille, et le scandale a été étouffé, mais j’ai toujours soupçonné Maria d’avoir tué cet homme. Je la soupçonne à présent de penser qu’elle agit dans l’intérêt de Sa Majesté impériale, car je ne remets pas en question son amour pour notre Mère l’impératrice, mais je ne crois pas qu’elle agisse sur l’ordre de Sa Majesté.
Haraldr sentit sa tête tourbillonner.
— L’impératrice m’a dit que Maria me poserait une question en son nom. Et les rumeurs… Vous savez qu’on accuse l’impératrice d’avoir participé à… à la mort de son mari.
Le visage de Mar se durcit.
— Comment pouvez-vous savoir que Maria vous a posé la question de l’impératrice ? Et oubliez les calomnies des rues et les quolibets de théâtre. Je peux vous assurer que l’impératrice n’a pas participé à la mort de Romanos, parce que c’est moi qui ai retiré son cadavre du bain dans lequel il s’est noyé. Que la Mère du ciel me pardonne, mais l’empereur était malade et n’avait plus sa tête. Il a dû tomber et s’assommer. Jamais on n’aurait dû lui permettre de prendre un bain seul, mais il n’y a pas eu trahison.
Des doutes continuèrent de flotter dans l’esprit de Haraldr comme des corbeaux querelleurs. Mar jouait-il sa propre version de la scène ? Et pourtant, ce qu’il disait de Romanos pouvait très bien être exact.
— Je crois qu’il y a autre chose que vous ne comprenez pas. C’est pour cette raison qu’il fallait que je vous voie ce soir. Lors de notre première rencontre, si j’avais su de vous ce que je sais à présent, je me serais conduit différemment. À ce moment-là, je vous considérais comme une sorte de renégat, un homme qui ne comprenait pas notre dévotion à notre Père et à sa dignité impériale, un vaurien de sang royal qui se croyait capable de piller la fortune de Rome pour servir ses propres fins. J’ai voulu vous donner une leçon, vous intimider, utiliser ma connaissance de votre passé pour vous effrayer et vous réduire à l’obéissance. Je ne savais pas alors que vous étiez un homme d’honneur. Ce soir, je suis certain que votre dévotion à notre Père est aussi grande que la mienne. Je ne me méfie plus de vous. Mais j’espère, pour votre salut comme pour le mien, que vous commencerez à me faire confiance.
Était-ce vraiment un homme du Nord qui parlait ? Haraldr crut reconnaître la langue onctueuse d’un eunuque. Mais pourquoi ménageait-il ainsi Haraldr s’il tenait l’épée au-dessus de sa nuque ? « Il a besoin de moi, comprit Haraldr. Il a besoin de mon amitié davantage que de ma crainte. Tu as traité une fois avec le démon et tu as obtenu la vie de tes hommes liges. Traite avec lui de nouveau. »
— Je suis sûr que vous ne romprez pas votre serment à Odin. Que gagnerais-je à vous faire confiance au-delà ? J’ai satisfait mon honneur et vous ne pouvez me tuer qu’une fois.
Haraldr s’attendait au mieux à un éclat de rage. Peut-être à un combat mortel. Mar le surprit : il lui adressa un regard intense mais calme.
— Ce que vous gagneriez, manglavite Haraldr, c’est l’honneur de défendre un empereur digne contre une fourberie si honteuse qu’elle menace la vie même de l’Empire romain, sans parler de la vôtre.
Haraldr pouvait admettre volontiers que l’empereur méritait d’être défendu.
— Je vous ai fait part du complot que je soupçonnais, dit-il.
— Les paroles de Maria étaient : « Tranchez la tête de l’Aigle impérial. » Peut-être songeait-elle à Joannès, non à l’empereur. On dit souvent que
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