Byzance
aujourd’hui sans montrer aux gardes sa tunique de soie bon marché, uniforme de secrétaire de bas étage dans le bureau du sacellaire. Mais il valait mieux être prêt à toute éventualité ; dans ce genre d’affaire, si l’on ne se préparait pas à l’inattendu, on se trouvait très vite et très douloureusement privé des outils de son métier.
L’Écureuil traversa la place de son pas nonchalant, contourna un groupe de tabellions qui discutaient une affaire devant les colonnes de marbre du bâtiment du Sénat : des balivernes sur « le canon ecclésiastique affirmant la préséance dans un cas où les statuts coutumiers et non séculiers…». L’Écureuil réprima son envie de cracher sur les pieds des juristes. Des outres gonflées de vent qui soufflaient seulement des mots pour le peuple. L’humeur de l’Écureuil s’éclaira quand il vit les gardes khazars s’avancer vers la sortie nord de l’Augustaïon. La nouvelle était donc exacte : l’empereur tout-puissant était revenu. Bon renseignement, se dit l’Écureuil en secouant la tête de satisfaction. La valeur d’un bon renseignement est toujours sans limites.
Le temps que l’Écureuil parvienne à la sortie de l’Augustaïon, les gardes khazars avaient formé un cordon qui bloquait la galerie conduisant de la place aux jardins et à l’atrium du côté ouest de Sainte-Sophie. Le public n’aurait pas le droit de passer, mais même les fonctionnaires impériaux mineurs seraient admis à regarder l’empereur au cours de sa procession bihebdomadaire jusqu’à l’église mère. L’Écureuil maintint sa cape bien serrée sur sa tunique et prit à la main une branche verte de myrte, comme n’importe quel petit courtisan lèche-bottes l’aurait fait pour célébrer le passage rapide de son Père à la tête enflée. L’Écureuil posa pieusement le myrte contre sa poitrine et les Khazars le laissèrent passer sans broncher.
La satisfaction de l’Écureuil plongea comme une mouette trop bien nourrie quand il entra dans la cour entourée de cyprès de Sainte-Sophie. Les brigands barbares à cheveux blonds étaient déjà au garde-à-vous le long du chemin. Mais où se trouvait donc la foule des dignitaires, des sycophantes et des fonctionnaires rampants qui se rassemblaient en général avec leurs rameaux, leurs fleurs et leurs couronnes pour chanter les louanges de leur autocrate de pacotille sur le chemin de l’église ? L’Écureuil compta : peut-être quarante ou cinquante courtisans le long de tout le chemin, et pour chacun d’entre eux, au moins deux des têtes à poils blonds qui les tenaient à l’œil. L’instinct de l’Écureuil lui conseilla de se mettre en congé pour le reste de la journée, mais une impulsion plus puissante le poussa à s’avancer.
« Choisis bien ta place, se rappela l’Écureuil, parce que avec peu de monde pour dissimuler tes déplacements, tu n’auras qu’une seule occasion. Là. » À environ quatre pas sur la droite d’un homme corpulent en cape de soie verte à col de fourrure. L’Écureuil s’avança jusqu’au bord de l’allée de marbre et s’arrêta. Il s’inclina humblement vers l’homme sur sa gauche, puis encore plus humblement vers l’immense monstre blond à côté de lui, sans oser lever les yeux au-dessus de la tunique de cuir et du pectoral d’or du garde varègue. « Imagine ça sur ton cou », frissonna-t-il, en regardant l’énorme hache maintenue contre la poitrine dorée par un avant-bras d’une grosseur inhumaine. Vraiment le genre de spectacle qui pousse un homme à envisager la tonsure et à mener ses affaires seulement au nom du Pantocrator. Mais si l’Écureuil pouvait pratiquer son métier en pleine vue de cette brute, quelle histoire il aurait à raconter à ses compagnons lors de son retour à la Canne du Diable !
Quoi ? L’Écureuil stupéfait regarda les cavaliers qui s’avançaient. Des Varègues à cheval, et derrière eux l’empereur sur son étalon blanc, caparaçonné d’or et d’écarlate. Mais au lieu de trottiner avec dignité, ils fonçaient tous comme s’ils fuyaient la trompette du Jugement Dernier. Et où était donc l’habituel cortège – les tambours, les flûtes, les courtisans qui précédaient Sa Majesté le cierge à la main en chantant leurs palinodies ? Il se passait quelque chose de très étrange. Ce n’était manifestement pas le moment de tenter un coup d’audace. Mais fuir à présent ferait
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