Byzance
Zoé.
— Y a-t-il du nouveau ?
Zoé hocha la tête. « Je ne la comprends plus », songea Maria un instant, avant que cette pensée ne soit engloutie par son angoisse générale.
— Il est revenu, dit l’impératrice.
— Donc c’est fini, dit Maria, les mains crispées sur ses épaules gaînées de soie.
— Cela commence ! lança Zoé, et ses lèvres cruelles se plissèrent. Le fait que tu n’as pas persuadé ton komès Haraldr de tuer pour toi ne signifie pas qu’il a trahi nos intentions !
— On nous retient prisonnières.
Maria posa les mains sur ses cuisses. Le bout de ses doigts tremblait.
— Une prison toute relative, dit Zoé en parcourant des yeux son appartement comme un général sur un champ de bataille. Nous n’avons pas le droit de sortir. Cela mis à part, nous conservons toutes nos libertés. Nous pouvons faire venir qui bon nous semble et le renvoyer avec ce que nous voulons. Non, mon époux m’évite à cause de sa propre culpabilité, qui est manifestement devenue une maladie chronique pendant notre absence. Il n’a nul besoin d’attiser cette culpabilité, ou de contribuer à l’instabilité déjà notoire du diadème impérial sur sa tête, en me punissant davantage. Je suis persuadée que le komès Haraldr, ou plutôt le manglavite Haraldr, réfléchit encore à notre proposition.
— Vous n’avez pas vu le regard d’horreur dans ses yeux, Mère, répondit Maria d’une petite voix effarée.
Zoé la dévisagea pendant un instant.
— Oh ! je suis parfaitement au courant de tes sentiments ! dit-elle d’un ton mordant. Notre péril a rendu ce géant de Thulé aussi précieux pour toi qu’un petit chien. J’espère seulement que tu ne m’assiégeras pas de tes larmes quand j’essaierai de lui passer mon collier autour du cou. Je crois que l’on peut encore inciter ton petit chien à dévorer quelques vermines du Palais.
— Mais, Mère, supplia Maria. Vous avez appris tous les honneurs que Joannès a déversés sur lui. La fortune, le palais, les serviteurs. Même s’il n’était pas encore à la solde de Joannès, il l’est devenu.
— Cela signifie seulement qu’il est en position d’envisager un prix beaucoup plus élevé pour ses services.
Le ton menaçant de Zoé réduisit Maria au silence. L’air parut devenir plus lourd, puis les portes du fond de la pièce s’ouvrirent et Siméon s’avança vers l’impératrice et Maria.
— Dehors ! lança Zoé.
— Maîtresse, répondit Siméon doucement sans ralentir le pas, je crois que vous devez savoir. Votre mari vient d’ordonner qu’aucune personne ne soit admise dans vos appartements impériaux sans l’approbation des bureaux de l’orphanotrophe Joannès. Je viens de parler au commandant de la Garde khazar chargé d’appliquer cette directive.
Il s’inclina. Le silence se prolongea. Les mains de Maria se crispèrent et ses ongles s’enfoncèrent dans sa peau.
— Très bien, Siméon, dit Zoé d’une voix égale.
Et l’eunuque s’éloigna comme il était venu.
— Dans ce cas, dit-elle d’une voix étrangement joyeuse, je dois veiller à ne recevoir que des invités jouissant des faveurs de l’orphanotrophe Joannès.
* *
*
Il neigeait, mais sans conviction. Le vent soulevait les flocons épars en minces tourbillons vaporeux qui glissaient sur les pavés puis disparaissaient dans la nuit. Haraldr remonta sur ses épaules sa cape doublée de zibeline. Les longs mois passés dans le climat chaud du Sud avaient dilué son sang. Le croisement de la Mésé, la large artère centrale de Constantinople, était marqué par les torches des cursores, la police de la ville. Haraldr fit un détour pour les éviter. Le Forum de Constantin semblait complètement entouré par des immeubles de deux ou trois étages. Haraldr traversa la rue et monta rapidement le long d’une façade, en se servant des plantes grimpantes qui s’y accrochaient. Il se hissa au-dessus de la corniche en surplomb, remonta sur le toit de tuile jusqu’au faîte et s’arrêta. Le Forum formait une vaste place ovale, sans une seule lumière. Haraldr descendit jusqu’au bord du toit et regarda pendant un moment les silhouettes immobiles. Le toit de la galerie entourant le Forum abritait des dizaines, peut-être des centaines de statues. Les gestes et les poses étaient si naturels qu’elles semblaient vivantes, mais figées dans leur mouvement à cause de son intrusion. Haraldr saisit à deux mains la
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