Byzance
tôt, sur le linteau de pierre de la galerie. Devant l’auberge, la rue était bondée de jeunes gens bruyants qui se bousculaient, entourés de quelques prostituées de leurs amies.
— Des coupeurs de gorge, tous, dit Mar qui avait dissimulé Fleur presque entièrement sous sa cape. Si quelqu’un fait un seul geste vers vous, tuez-le. Avec eux, peu importe que nous soyons des Varègues capables de réduire tout le quartier en cendres si l’un de nous est tué ici. Ces hommes s’en fichent. Ils ne se soucient que du quart d’heure qui suit et de savoir qui leur offrira un verre de raide et un con bien étroit.
Haraldr et Mar s’avancèrent côte à côte au milieu de la foule en faisant de leurs fortes épaules une arcade qui protégeait Fleur. Des yeux durs et des visages balafrés se tournèrent vers eux, mais les corps s’écartèrent. Ils passèrent sous le porche et pénétrèrent dans l’auberge. L’air était enfumé, il régnait un relent de vin bon marché et d’hommes mal lavés. Aux deux grandes tables les plus proches, on jouait aux dés. Des vivats accompagnaient chaque lancer. Plus loin, le centre de l’attention était un petit homme aux yeux noirs qui portait un absurde bonnet de soie tout neuf, sans bord, pareil à ceux qui venaient d’être mis à la mode à la cour impériale.
— L’autre jour, dit Mar, j’ai sauvé de la Numéra un misérable coupe-bourse. Il est par ici. Je suis sûr qu’il pourra me dire où nous trouverons le Médecin. Restez avec Fleur. Rappelez-vous ce que je vous ai dit. Ils essaieront de vous insulter, peut-être même d’insulter notre Père. N’écoutez pas les paroles. Surveillez les mains et les pieds.
Mar se fraya un passage à travers la foule. Le jeu s’arrêta pendant un instant. Fleur tremblait, la tête cachée sous le bras de Haraldr comme un oiseau effrayé sous l’aile de sa mère. Des yeux dangereux, des yeux de serpent commencèrent à examiner la forme féminine dissimulée en partie sous la cape de Haraldr.
Mar parvint à la table et salua l’homme en bonnet rouge.
Un groupe d’hommes de la table voisine, qui s’était tourné vers Haraldr, se leva. Ils portaient des tuniques de soie bon marché et se prenaient manifestement pour des truands d’envergure. Le plus grand pouvait passer pour un géant parmi les Romains ; ses yeux brillaient.
— Laissez-nous jeter un coup d’œil, Éminence, dit l’homme d’une voix grave, égale, sans la moindre menace. Nous paierons un bon prix simplement pour un petit coup d’œil, ajouta-t-il en faisant un signe de tête à ses camarades.
Haraldr saisit le pommeau de sa courte épée. Il regretta de ne pas avoir emmené Emma. Mais Mar l’avait averti qu’une byrnnie risquait de freiner l’agilité dont ils auraient besoin dans ces rues.
— Il est muet comme une chèvre, lança un petit bonhomme qui avait des mèches blanches dans ses cheveux noirs. Vous verrez plus facilement marcher une merde que parler un Varègue.
— Mais non, voyons ! Ne viens-tu pas de voir deux merdes entrer ici en marchant ? lança un troisième en ricanant.
— Vos gueules ! aboya le grand. Il comprend ce que nous disons.
Le grand fit mine d’avancer d’un pas et Haraldr se prépara à lui trancher la tête. Mais les jambes de l’homme s’écartèrent, et il se campa comme pour marquer une frontière entre lui et le géant du Nord.
— Votre empereur ne tardera pas à crever, dit-il l’œil sombre. En ce moment, il est au lit, à l’agonie. Il ne s’est pas montré au peuple, ni à notre Mère depuis le début de l’année. Nous mettrons un homme à nous au Palais plutôt que laisser un cadavre nous gouverner pendant que le moine diabolique Joannès nous écrase sous sa botte. Vous avez vu le Stoudion, Éminence ? Pensez-vous que vos Varègues pourront nous arrêter si notre volonté se déchaîne ?
Haraldr en fut abasourdi. Il s’attendait à une agression pure et simple, non à la conviction étrange de ce criminel. L’empereur en train de mourir ? Oui, il n’était pas à Byzance au retour de son épouse avec ses sauveteurs, et il n’y avait pas eu de procession à son propre retour de Salonique. Mais Haraldr avait supposé que l’empereur fuyait la trahison de son épouse ; après tout, il ne pouvait pas jeter Zoé née dans la pourpre au Néorion. Les paroles du truand ajoutèrent une nouvelle facette à la structure complexe des doutes de Haraldr. Si l’empereur
Weitere Kostenlose Bücher