Byzance
classe, ni même de retrouver leur chemin de la Magnara au Chrysotriklinos. C’était assez éreintant pour qu’un homme tombe de sommeil à côté d’une femme aussi belle que celle-ci.
— Vous étiez en train de rêver, j’en suis sûre.
Les yeux de la femme reflétèrent le candélabre allumé au-dessus de sa tête. Halldor releva les jambes pour que la bosse sous sa robe soit moins apparente.
— Ne soyez pas gêné, dit-elle en riant. Je ne suis pas vierge.
« Non, tu es pire, se dit Halldor. Tu es l’épouse d’un haut fonctionnaire dont j’ai du mal à me rappeler le titre. » Le fait essentiel était que le mari se trouvait en exil pour plusieurs années, comme stratège temporaire d’un thème, quelque part à mi-chemin du Vinland. La dame avait invité Halldor à dîner chez elle, et un vieux magister irascible lui avait fait remarquer que ce serait faire honte à cette femme adorable que de refuser. Même un Tauro-Scythe à demi païen comprenait sans doute qu’il avait l’obligation chrétienne de consoler la demi-veuve solitaire. Donc, après un délai convenable de cinq jours, pendant lesquels la liaison en perspective avait émoustillé la moitié des dames de la cour, Halldor en était là : endormi sans avoir consommé.
— Est-ce que je vous ennuie ? demanda-t-elle, en caressant ses longs cheveux blonds.
Halldor lui sourit. Elle avait les lèvres aussi exquises que celles d’une Aphrodite grecque et des cheveux d’un or presque pur sous la lumière de la lampe. Ses seins gonflaient sa tunique de soie. Il lui effleura l’oreille du bout des lèvres et huma le parfum de rose et de fleurs des champs.
— Quand… avez-vous… jamais… ennuyé un homme ?
Halldor supposa que son grec était assez efficace, car elle le prit dans ses bras et écrasa sa poitrine contre la sienne dans une étreinte aussi serrée qu’un étau de charpentier. Il écarta enfin sa bouche de la tendre agression des lèvres de la femme pour lui poser la question essentielle.
— Où… voulez-vous faire ça ?
— Dans mon bain, dit-elle en avalant sa salive, les yeux brillants.
* *
*
Le gamin leva la tête, ses yeux noirs hypnotisés à la vue des géants blonds et de leur femme. Il enleva à la hâte le haillon déchiré du buste de l’homme qui gisait par terre et disparut. Une bande de gros rats piaillants continuaient de s’affairer sur le visage et les orteils d’un cadavre récent, à quelques coudées de là. L’homme à terre gémit. Mar fit reculer Haraldr.
— Il a une tache de vérole, dit-il. Il mourra bientôt de toute manière.
Haraldr chercha des yeux autour de lui un instrument de miséricorde. Il vit un gros morceau de maçonnerie couverte de suie qui était tombé d’un bâtiment éventré par un incendie, sur sa droite. Il ramassa la grosse pierre, et se dirigea vers l’homme nu qui respirait doucement. Haraldr resta sans voix : le visage de l’homme et presque tout son corps n’étaient qu’une masse de pustules. Seuls les yeux fiévreux demeuraient humains. Ils le fixèrent, et l’homme gémit.
— Anges du ciel… Sauvez-moi.
Haraldr regarda les rats qui s’avançaient sans peur, attendant seulement qu’il s’écarte pour se mettre à ronger la chair vivante. Il laissa tomber la pierre qui s’écrasa sur les yeux reconnaissants.
Mar retint Fleur dans ses bras. Elle avait courageusement accepté de les accompagner pour identifier le Médecin, s’ils le trouvaient. Elle ne s’attendait pas à ce spectacle.
— C’est ici qu’ils viennent pour mourir quand même la rue les chasse, dit Mar comme s’il y avait une explication possible à cette horreur.
Un homme passa au carrefour, sa robe aussi noire que les carcasses carbonisées des taudis au-dessus de lui. Le moine barbu se pencha au-dessus d’un autre cadavre – il devait y en avoir une bonne demi-douzaine prostrés dans la boue et, sans une parole, il plaça en croix leurs bras raides, couleur de chaux.
— Ils viennent ici pour mourir parce qu’ils savent que les moines les trouveront.
— Le monastère du Stoudion se trouve par ici, dit Mar en montrant le nord. Il abrite une fraternité de moines qui se consacrent à rechercher et enterrer les cadavres que même la terre refuse.
Mar se dirigea vers le moine, s’inclina puis tendit quelques pièces d’or à l’homme au regard serein. Le moine inclina machinalement la tête et continua son travail. Mar prit la main de Fleur et
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