Byzance
yeux, vit le sang et le lâcha. Où était le couteau ? Il vit la tunique qui gonflait dans l’eau loin de lui, et comprit que l’assassin était venu pour sa maîtresse, non pour lui. Le poignard brilla d’un éclair métallique terrible à travers la vapeur, puis s’éleva au-dessus du sein blanc nu. Halldor était trop loin pour intervenir, mais il lança de l’eau sur le visage de l’assassin et le poignard se figea pendant un instant en plein vol. Halldor bondit comme un dauphin. L’homme était fort, mais pas assez. Pendant un instant, le poignard fila comme un poisson d’argent juste au-dessous de la surface. Des bulles s’élevèrent dans l’eau au-dessus de la tête de l’homme, et il devint mou.
Halldor lança le corps sur le dallage et prit la femme dans ses bras. Elle pleura pendant un moment, puis il l’embrassa et elle sourit à travers ses larmes.
— Qui veut… te tuer ? demanda-t-il. Ton mari ?
— Non, il est content que je prenne des amants, ça le soulage d’un devoir qu’il trouve…
Elle s’interrompit, effrayée.
Halldor se tourna vers la baignoire : deux autres tueurs… Où était donc passé le poignard ? Puis la vapeur s’éclaircit et il reconnut Haraldr et Mar.
— Halldor ! cria Haraldr.
Il sauta dans l’eau et prit son ami dans ses bras. Mar disparut pendant un instant.
— Que s’est-il passé ? demanda Haraldr.
Halldor lui montra l’œil-de-bœuf brisé dans la coupole.
— Un plongeon spectaculaire. Je ne sais pour quelle raison, il voulait tuer cette belle dame.
La dame sourit à Haraldr, apparemment peu troublée, ni par le péril auquel elle venait d’échapper ni par sa nudité. Mar réapparut avec Fleur et la conduisit près du cadavre.
— C’est l’homme que j’ai vu, dit-elle aussitôt.
Haraldr secoua la tête et se mit à reconstruire le bizarre enchaînement d’événements.
— Donc Joannès apprend que Halldor va rendre visite à cette dame. Toute la cour est au courant depuis plusieurs jours. Et il envoie son homme Gabras, mon chambellan Nicétas Gabras, pour organiser son assassinat. Mais l’assassin cherche à tuer la dame. Pourquoi ?
Il posait la question à lui-même autant qu’à Mar. Mar pinça les lèvres.
— Parce que l’esprit des Romains fonctionne ainsi. Et en particulier l’esprit de notre orphanotrophe Joannès. Cette dame haut placée est assassinée et l’accusé, l’agresseur manifeste, est le komès Halldor Snorrason de la Moyenne Hétaïrie. Joannès possède alors un moyen de pression sur Haraldr à cause du scandale de son camarade. Ou peut-être a-t-il de plus vastes desseins. Je crois qu’en dépit de sa décision de renforcer votre unité, son intérêt à long terme est l’élimination totale de la Garde varègue, de sorte qu’aucun empereur ne puisse être assuré de la sécurité que nous offrons. Comme vous le savez très bien, il existe plusieurs factions à la cour, notamment les dynatoï, qui partagent cet objectif. Ils ne seraient que trop heureux d’exploiter ce scandale pour réduire les effectifs de la Moyenne et de la Grande Hétaïrie. Si Joannès s’attaque directement à vous ou à l’un de vos hommes, il dévoile ses intentions et vous invite à riposter. De cette manière, il vous oblige à vous défendre contre l’indignation des autres. Le fait que cette dame meure n’entre pas en ligne de compte. Pour Joannès, tous les moyens sont bons et une vie innocente n’a guère de poids.
Haraldr examina de nouveau le visage de l’assassin puis dévisagea les vivants l’un après l’autre. Il était ridicule de penser que Mar ait pu organiser un drame si compliqué, y compris une agression sur lui-même, pour en arriver simplement à cette conclusion indirecte. Et Gabras était sans nul doute un homme de Joannès. Ce n’était pas du tout le genre de preuve à laquelle il s’attendait – ce qui la rendait d’autant plus convaincante. Oui, Joannès était son ennemi, un ennemi beaucoup plus fourbe et impitoyable qu’il ne l’aurait imaginé quelques heures plus tôt. Cela ne suffisait certes pas à faire de Mar son ami, mais il venait de comprendre une autre vérité essentielle : pour combattre le moine démon Joannès, il aurait besoin de Mar autant que Mar avait besoin de lui.
La dame posa la main sur le bras de Haraldr, lui adressa un beau sourire mouillé, puis se tourna vers Mar et Fleur.
— Tout va bien, dit-elle. Personne n’est sérieusement
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