Byzance

surpris que jamais.
    — Hétaïrarque, je ne vois pas en quoi permettre à la Moyenne Hétaïrie et au manglavite de prendre une telle importance pourrait servir nos intérêts.
    — Nous travaillons avec la Moyenne Hétaïrie la main dans la main vers un objectif commun. Dès que mes plans seront au point, je vous les expliquerai et vous comprendrez. En attendant, il faut que l’harmonie règne entre les deux divisions de la Garde varègue, et je vous charge de cette responsabilité. J’assurerai moi-même le contact avec le manglavite Haraldr Nordbrikt.
    — Hétaïrarque, commença Ostenson, décidé de mettre à l’épreuve les limites de ses relations personnelles avec son commandant. Hétaïrarque, quand cet objectif commun sera atteint, ne sera-t-il pas dangereux d’avoir renforcé le pouvoir de Haraldr Nordbrikt ? Il est déjà un héros dans cette ville. On ne peut prendre un verre nulle part sans entendre son nom. Le massacreur de Sarrasins par-ci, le massacreur de Sarrasins par-là. Je pense qu’il est de taille à devenir pour vous un rival dangereux, et vous encouragez tout bonnement son ascension.
    Cela se passa trop vite pour la compréhension d’Ostenson. Il vit Mar bondir et plonger vers lui, puis il sentit le choc du mur derrière son dos. Quand il revint à lui, il était assis au pied du mur, les jambes étendues, la tête en feu. Mar était en train de s’essuyer la nuque. Il remit Ostenson sur ses pieds.
    — Ne faites jamais d’hypothèses sur ce que je fais ou sur ce que je ne fais pas, centurion, dit-il d’une voix égale.
    Le bogomile tordit entre ses doigts une mèche de ses longs cheveux raides et regarda gravement Maria, en évitant de jeter un seul coup d’œil à l’icône de la Vierge parée de bijoux accrochée au mur derrière elle ; il considérait ces images comme des manifestations du mal, placées sur cette terre par Satanaël, le fils aîné de Dieu, pour confondre ceux qui croyaient vraiment en Dieu et en ses deux plus jeunes fils, Christ et le Saint-Esprit.
    — L’Antéchrist, lança le bogomile en réponse aux questions de Maria, sera Satanaël sous sa forme finale. Quand il sera vaincu, le monde entier prendra feu et un ouragan de vent et de poussière parcourra la Terre, rasera les montagnes et comblera les vallées. Tout ce qui restera sera plat et blanc comme une feuille de parchemin.
    — Comme c’est merveilleux…
    Maria essaya de visualiser cette surface uniforme d’une blancheur de squelette. « Peut-être la mort est-elle une lumière blanche consumant tout, se dit-elle, et non les ténèbres que j’ai souvent imaginées. » Mais bien entendu il s’agissait de fables d’hérétiques. Elle sourit au doux fanatique assis sur le tapis en face d’elle. Avant sa conversion à la secte des bogomiles, le jeune homme était un jeune dynatoï oisif dont les seules passions étaient les dés, les chevaux et les paris aux courses de l’Hippodrome ; il tenait souvent compagnie à Ignatios Attaliétès.
    — Mais pourquoi les bogomiles comme vous s’opposent-ils au sacrement du mariage ? demanda-t-elle, détournant le sermon impromptu vers un de ses sujets favoris.
    — Il est impur. L’amour non chaste d’un homme pour une femme est un acte d’obéissance à Satanaël, qui a créé le monde physique.
    — Mais pourtant, Dieu a créé Adam parfait, et Adam a donné la vie à Ève, qui a été séduite par Satanaël et a donné naissance à Caïn ainsi qu’à une fille que vous, les bogomiles, appelez Perfection… J’expose correctement vos croyances, n’est-ce pas ?
    Le bogomile acquiesça. Ses yeux placides, rêveurs, clignèrent une seule fois, puis deux fois ; il parut soudain préoccupé.
    — Donc si une femme parfaite a résulté de l’union contre nature de Satanaël et d’Ève, n’y avait-il pas en quelque manière un élément de pureté dans leur accouplement ?
    — Mais Satanaël et Ève n’étaient pas unis par le sacrement du mariage. Et il n’y avait pas d’amour entre eux.
    — Exactement. Donc Ève et Satanaël ont forniqué comme des bêtes, et pourtant leur progéniture a été une femme parfaite.
    — Et Caïn le maudit.
    — Je fais seulement allusion au fait qu’une femme a forniqué et conçu une fille qui était sans péché. Je ne me soucie pas des crimes que votre Satanaël incite les hommes à commettre.
    — C’est Satanaël qui vous incite à prononcer ces paroles.
    Zoé apparut sous le