Byzance
faisaient gonfler maintenant son scaramangium bleu foncé.
— Éros va s’épuiser ce soir en de nombreuses courses par votre faute, lui dit-il. Vous êtes la femme la plus adorable de la salle.
Elle posa légèrement la main sur celle de Haraldr.
— Ce soir, j’espère seulement envoyer Éros percer une seule poitrine, dit-elle.
Mar toussa et fit un signe de tête vers la droite. Haraldr regretta de ne pas connaître une incantation de sorcier capable de le transformer en mouche. Mais c’était trop tard. La femme l’avait vu.
Daniélis, l’épouse du curator de la Magnara, s’avançait entre les tables, son long cou blanc de cygne dressé, les bras détendus, les doigts légèrement relevés comme si elle tenait un objet fragile. Son mari, le dignitaire responsable non seulement de la surveillance mais du financement de toutes les réceptions diplomatiques officielles au palais de Magnara, était assis à plusieurs tables de là et avait déjà posé sa digne tête sur les genoux d’une actrice qui passait pour la maîtresse d’un célèbre joueur de jeu de paume à cheval. Daniélis ne songeait guère à s’en froisser, il aurait été beaucoup plus humiliant d’être invitée à s’asseoir près de son propre mari. Mais comme Haraldr, son amant en titre aux yeux de tous, était également occupé, elle se trouvait dans une situation gênante – et Haraldr aussi. Mar se leva, le visage altier, et ses yeux attendirent de croiser ceux de Daniélis. Elle le regarda et la salle entière parut faire le silence pendant un instant. Puis elle leva un sourcil en un geste à la fois délicat et étrangement érotique. À l’instant où elle s’assit auprès de Mar, Haraldr adressa à l’hétaïrarque un sourire reconnaissant. Les yeux d’Anna lancèrent des flammes et elle posa une main possessive sur la cuisse de Haraldr. À tous égards, la fille du grand domestique était l’opposée de Daniélis. Elle avait perdu sa virginité quelque part sur la route d’Antioche, apparemment entre les bras d’un maladroit qui avait rendu l’expérience pénible. Elle était encore inquiète, et Haraldr ne l’avait pas pressée. Ils étaient restés deux fois en tête à tête chez lui, et ils avaient bavardé, entre les caresses, presque jusqu’au chant du coq, puis il avait ordonné à sa voiture de la ramener chez elle. Elle l’aidait à faire des progrès en grec et il se sentait bien avec elle.
— Anna, avez-vous entendu parler du nouveau drame ? demanda Daniélis tandis que les serveurs apportaient des pâtisseries fourrées en forme de petites églises.
— Non. Quel drame ? Oh ! je vois, je crois que vous avez confondu les genres. C’est un mime, ou plutôt une comédie en forme de mime.
— Ah bon ? On dit que le sujet n’est pas convenable. Il paraît que l’actrice écarte sa cape et montre son derrière à la manière d’Aphrodite.
— Non. Elle enlève sa cape et apparaît devant nous entièrement nue comme les Anciens nous ont montré la déesse dans leurs sculptures.
Daniélis pinça le nez – sa façon d’exprimer en public qu’elle était choquée. « Ha, ha, se dit Haraldr, quand Daniélis est aussi nue qu’Aphrodite, elle halète comme un cheval de poste. »
— Anna, demanda Daniélis, croyez-vous que ce spectacle enflamme les passions de ces messieurs qui vont y assister ? Comme ce serait vil si, pour répondre à cette imitation d’Aphrodite, nos galants se comportaient comme Héphaïstos !
— Mais, madame, répondit Anna, ses pupilles pareilles à des aiguilles, Héphaïstos était le mari boiteux d’Aphrodite, cocufié par le belliqueux Arès, à tous égards plus désirable. N’avons-nous pas déjà cette imitation sous les yeux, avant même que notre Aphrodite apparaisse ?
Mar faillit s’étouffer avec sa pâtisserie. Les narines de Daniélis battirent, et une veine gonfla sous son oreille.
— Vraiment ? dit Daniélis d’une voix égale malgré l’accusation et l’insulte. Mais nous avons aussi d’autres imitations parmi nous. Je suis certaine qu’une Athéna se trouve dans la salle.
Les ongles d’Anna griffèrent Haraldr. Athéna était une déesse vierge.
— Mais où ? demanda Anna d’une voix qui tremblait imperceptiblement. Aucune vierge n’aurait la témérité de venir en cette compagnie. Peut-être faites-vous une erreur de terminologie. On peut traiter de prodigue une femme qui dispense à tort et à travers ce
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