Byzance
par une tempête et ils se sont noyés. L’impératrice m’a élevée comme si j’étais sa propre fille.
— Vous la considérez donc comme votre famille ?
— Sa sœur est aussi… ma famille.
— Je ne savais pas que vous étiez proche de l’augusta Théodora.
« Étrange », se dit Haraldr. Il se rappela les relations entre l’impératrice et sa sœur dans le mimodrame d’Euthymios : une rivalité amère, fréquemment évoquée dans les cercles du Palais.
— Oui. C’est mon autre mère. Elle me manque, dit Maria en mordant sa lèvre inférieure que le vent rougissait. Qui est votre famille ?
— Je suis originaire de Norvège. C’est une péninsule dans la partie du monde que vous appelez Thulé. Mon père est mort quand j’étais très jeune. C’était un homme important en Norvège. Un homme de naissance noble.
— Et vous êtes donc de naissance noble vous aussi ?
— Oui.
— À quelle dignité aviez-vous droit en Norvège ?
Haraldr regretta sa sincérité partielle.
— J’étais membre de la cour du roi. En Norvège, nous n’avons pas toutes les sortes d’honneurs et de dignités qui existent ici à Rome.
— Je ne parviens pas à croire que vous ayez jamais incliné la tête devant quiconque.
— J’incline la tête devant notre Père et notre Mère, exactement comme je l’inclinais devant le roi de Norvège.
— Peut-être n’en sera-t-il pas toujours ainsi.
— Je vois. Quand je prendrai la tête des blonds pour piller la Nouvelle Rome ? lança Haraldr d’un ton sarcastique.
Maria sourit.
— Il est bien normal que je vous taquine, dit-elle. J’espérais que vous trouveriez ma mélancolie chronique plus séduisante. Illusion de gamine.
— Je vous trouve séduisante.
Elle serra les mâchoires et baissa la voix.
— Oui. Je sais que vous allez dormir dans mon lit ce soir. Je sais ce que vous allez me donner dans mon lit. Je peux le voir dans vos yeux et le sentir entre mes jambes, le sentir au creux de mon ventre. Le croyez-vous ? Je suis déjà moite. Mais que puis-je faire pour que vous me redonniez votre amour ?
— Peut-être l’amour n’est-il pas nécessaire.
Elle se tourna vers lui et il fut étonné de voir des larmes dans ses yeux.
— Il faut qu’il le soit, dit-elle, d’une voix si faible, si désespérée qu’il tendit la main pour effleurer son visage brûlant avant de la prendre dans ses bras.
* *
*
— Chut ! Un de nos trésors est en train de dormir, murmura Michel, empereur, autocrate et basileus des Romains en posant le doigt à ses lèvres pour inviter au silence.
Joannès se tourna vers le lit impérial. Sous le dais brodé d’or qui couronnait l’immense lit à colonnes, sous les draps de pourpre légers comme la brise, était allongée la silhouette desséchée et tordue d’un homme qui semblait sortir à l’instant d’une cave pleine de serpents et de scorpions dans laquelle il aurait passé un demi-siècle. Et sans doute était-ce le cas. Le dernier des « trésors » de l’empereur se mit à ronfler et ses cheveux en broussaille, pleins de vermine, s’étalèrent sur les coussins impériaux comme une couronne d’excréments.
L’empereur entraîna son frère hors de la chambre impériale, traversa une vaste antichambre et entra dans une petite salle d’audience décorée de mosaïques représentant les visions d’Ézéchiel. Le moine Cosmas Tzintzulucès se tenait près d’une petite table de marbre, les yeux fixés sur ce qui semblait un grand reliquaire d’or en forme d’église à plusieurs nefs. Les dômes miniatures étaient recouverts de pierres précieuses rouges. Tzintzulucès accueillit Joannès avec effusion.
Joannès lui répliqua par un grognement poli. Il tolérait Tzintzulucès, en particulier parce que dans la vie d’un empereur, le rôle de ce moine apparemment sincère était préférable, et de beaucoup, à l’influence sur Sa Majesté du méprisable patriarche Alexios. « Loué soit le Pantocrator qui a créé les monastères, songea Joannès, car sans la rivalité affaiblissante entre la prêtrise et les moines, le gouvernement séculier serait vite renversé par les forces ecclésiastiques. » Mais il fallait cependant tenir ce Tzintzulucès à l’œil… Comme tous les hommes vraiment religieux, c’était un fanatique ; et comme tous les fanatiques, il n’avait aucun plan d’action, seulement un but ultime, en grande partie abstrait. Et les hommes sans
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