Byzance
césar.
— César ?
Michel savait que césar était le titre de l’empereur dans la Rome ancienne, mais avec l’inflation endémique des titres dans la Rome nouvelle, un césar pouvait très bien être l’homme qui coltinait le fumier des étables de l’empereur. César ? Ou bien ce titre était insignifiant, ou bien il n’avait pas servi depuis de très nombreuses années.
— Je vois que vous ne connaissez pas très bien la dignité qui va vous être conférée, dit Joannès et ses yeux voilés parurent attirer la lumière. On désigne un césar seulement quand l’empereur, basileus et autocrate n’a pas engendré d’héritier né dans la pourpre. En cas de décès de l’empereur, le césar doit lui succéder sur le trône impérial.
* *
*
— C’est la galère de Sa Majesté, dit Maria. J’ai le privilège de l’utiliser.
Le vent fouettait le col de zibeline noire de sa cape. Les oriflammes claquaient dans la mâture et la coque gémissait doucement. Maria se retourna vers le groupe d’une douzaine de serviteurs vêtus de gros manteaux de laine, debout près du bastingage vers le milieu du bateau.
— Excusez-moi, je vous prie. J’ai des instructions à donner pour le nettoyage et l’installation dans la villa. Elle est fermée depuis des mois, et plusieurs d’entre eux n’y sont jamais venus.
Haraldr regarda le port du Bucoléon s’éloigner à chaque coup des quatre-vingts avirons de la trirème. La ville était incandescente, les toits de plomb et les revêtements de marbre scintillaient comme des pierres précieuses sous la lumière du couchant. Les mouettes criaient en virevoltant pour accompagner le bateau à travers le Bosphore. Chrysopolis semblait flotter sur la droite, ville splendide, capable elle aussi d’éblouir le monde. Puis l’entassement urbain céda la place à des villas élégamment espacées, entourées de cyprès bien taillés et de jardins que l’hiver réduisait à des formes géométriques brunes et grises. Une longue barque blanche couverte d’un dais déposa Haraldr, Maria et six serviteurs le long des marches d’une jetée de pierre, puis la barque revint à la galère pour charger les autres domestiques et les bagages. La jetée traversait une plage étroite parsemée de rochers et s’achevait sur une grille de fer, dans un porche de pierre. Le chambellan de Maria ouvrit la grille. Des marches de marbre couvertes de feuilles mortes montaient de terrasse en terrasse jusqu’au portique d’entrée d’une vaste villa de deux étages. Au-delà, des vergers s’étendaient à perte de vue.
Ils entrèrent dans la maison par un petit atrium à ciel ouvert ; un oiseau mort était tombé sur les feuilles. Un vestibule étroit conduisait à un péristyle de deux niveaux entouré de colonnes de marbre veiné d’or. Le bassin ornemental à l’arrière du péristyle n’avait plus d’eau et le carrelage portait des traces de boue.
— Il faudra un certain temps pour que la chaleur circule quand les chaudières seront allumées, dit Maria. Je crois qu’il fait plus chaud dehors.
Elle posa la main sur le bras de Haraldr ; c’était la première fois qu’ils se touchaient depuis la soirée précédente. Elle l’entraîna vers le porche. Ils s’arrêtèrent devant une balustrade de marbre au-dessus des terrasses. Ils se trouvaient à une centaine de coudées en surplomb de l’eau. Le soleil jouait encore avec l’horizon : les collines vers l’ouest avaient pris une teinte rosée et les vastes cités de l’autre côté de l’eau en étaient tout auréolées.
— Je tiens cette villa de mes parents, dit-elle en faisant glisser sa main gantée sur la balustrade de marbre lisse.
— Vous ne m’avez jamais parlé d’eux.
De nouveau, elle posa la main sur son bras.
— Il y a trop de choses dont nous n’avons jamais parlé.
— Qui étaient votre père et votre mère ?
— Je ne les ai jamais connus. Ils sont morts. Ils ont été tués quand j’étais en bas âge. Ils étaient impliqués dans une… affaire politique. On les a bannis, on a confisqué leurs biens, on a supprimé leur nom des dossiers. Notre impératrice Zoé, qui était alors la simple nièce du Bulgaroctone, était une amie de mes parents. Elle a pu intercéder et récupérer une partie de leurs biens, ainsi que leur fille, dans l’espoir qu’ils pourraient obtenir un jour une forme ou une autre de pardon. Mais le bateau qui les emportait en exil a été saisi
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