Byzance
plan d’action sont toujours dangereux.
— Venez voir ceci, mon frère, dit l’empereur en prenant Joannès par le bras pour le faire avancer près de la table, sur laquelle il prit l’église miniature. Voici à quoi ressemblera l’église des saints Côme et Damien. Nous allons construire autour des fondations existantes, avec des additions ; un étage de plus ajoutera une symétrie et une splendeur indéniables, que les architectes précédents avaient négligées. Nous avons déjà ordonné d’extraire les plus beaux marbres de Lacédémone et de Sangarie, ainsi que de l’onyx de Thessalie. Il y aura une fresque représentant le martyre des saints glorieux, et nos mosaïques en l’honneur du Pantocrator mettront l’accent sur le rôle de saint Luc. Bien entendu, les édifices du reste du monastère seront ornés avec le même degré de dévotion et de respect. Et les abords seront également rénovés : nous avons demandé aux architectes d’envisager de nouveaux bains, des fontaines, un parc…
Joannès n’écoutait plus les propos enthousiastes de son frère. Il avait déjà calculé, à quelques douzaines de solidi près, le coût de la dernière expiation de l’empereur. « Un prix qu’il faut malheureusement payer », se dit-il. En tout cas, les projets architecturaux de l’empereur étaient charitables, et non égoïstes. Les saints Côme et Damien, après tout, avaient été des médecins qui ne faisaient pas payer leurs services, et cette reconsécration somptueuse de leur humble église rappellerait à la foule ingrate tous les hospices, monastères et orphelinats que le Père de l’empire avait si généreusement fondés. Et peut-être cette activité ferait-elle même taire en quelque manière les colporteurs de ragots. Un homme à l’agonie ne quitterait pas son lit de mort pour commander de nouveaux établissements monastiques s’il ne devait pas vivre assez longtemps pour les voir. Il se tourna vers Tzintzulucès.
— Vous voyez, notre Père n’épargne rien pour le bien-être de ses enfants. Il est si bon que je crains parfois qu’il les gâte, dit-il avec un sourire qui se voulait espiègle.
Il se rapprocha de Tzintzulucès pour lui parler à l’oreille tandis que l’empereur continuait à décrire les diverses scènes que représentaient les mosaïques de la chapelle.
— Frère béni, murmura Joannès, puis-je vous emprunter notre Père pendant un instant ? Je m’en veux de le priver de vos attentions salutaires, mais j’espère humblement lui offrir une chose qui soulagera ses tourments.
Tzintzulucès prit congé de Joannès avec la même effusion qu’il l’avait salué puis se retira, satisfait de voir son disciple sacré en compagnie d’un homme aussi dévoué à l’empereur que lui, un homme qui portait lui aussi la soutane noire du renoncement au monde.
* *
*
Elle posa la main dans la sienne. La nuit était claire, froide, magique. Elle se pencha en arrière pour regarder au-dessus de sa tête, et sa gorge se recourba comme un col de cygne érotique.
— Ne croyez-vous pas qu’il leur arrive de se rencontrer ? murmura-t-elle. Elles tournoient dans le ciel, on sait qu’elles tombent sur la terre, mais est-ce qu’elles ne se rencontrent jamais ?
Haraldr leva la tête à son tour vers les étoiles.
— Peut-être. Peut-être l’ont-elles fait à une époque où il n’y avait pas d’hommes pour les regarder, seulement des dieux. Je sais que comme toute chose, chacun de ces feux s’éteindra un jour.
— Oui. Tous les feux doivent s’épuiser. Mais peut-être certains brûlent-ils plus longtemps que d’autres. Que savez-vous de l’astrologie ?
— J’ai rencontré un des astrologues attachés à la suite impériale. J’ai également rencontré à la cour des hommes qui prennent cette science pour du pur charlatanisme. L’astrologie vous intéresse ?
— Oui, dit-elle en baissant la tête pour regarder les villes au-delà de l’eau noire. Mais je n’y crois pas. Je ne crois pas que le mouvement des corps célestes détermine notre sort ici, sur la terre. Mais je crois que comme les étoiles, nos destins évoluent en suivant certaines règles, certaines formes et que nous sommes contraints de demeurer dans ces orbites, si puissant que soit notre désir de leur échapper, si violents que soient nos efforts.
Elle se retourna soudain et se jeta dans les bras de Haraldr.
— Qu’est-ce qui t’a poussé à laisser tomber ta
Weitere Kostenlose Bücher