Byzance

inondée de la lumière qui tombait d’un candélabre simple, fonctionnel, forgé dans une seule bande de métal. La pièce n’était que documents et parchemins, mais pas une seule feuille n’était en désordre. Les murs blanchis à la chaux ne portaient aucune décoration, pas même une icône solitaire. Joannès était assis sur un siège sans dossier derrière un bureau de bois sans ornement. La surface vernie était écaillée par endroits. Ses lourdes pinces à sceller se trouvaient à côté d’une rangée de lettres roulées ; les sceaux de plomb prêts à servir attendaient dans un petit coffret de bois – morceaux de métal ordinaire qui exerceraient un pouvoir de vie et de mort dès que la pince de l’orphanotrophe leur aurait imprimé sa marque.
    — Asseyez-vous, je vous prie, mon neveu, dit Joannès en tendant ses bras déformés. Vous allez bien.
    Jamais Joannès ne posait de questions, il ne demandait que des confirmations.
    — Oui, mon oncle.
    Joannès joignit le bout de ses doigts juste sous son menton lisse.
    — Songeons à vous, mon neveu. Je vois devant moi un homme jeune, robuste, plein de vie, vraiment bien découplé, à l’esprit agile et l’intelligence pénétrante. Un jeune homme qui, à la différence de ses oncles avant lui, n’a pas souffert des vicissitudes du trajet d’Amastris jusqu’au Palais impérial. Un jeune homme dont la santé et l’équilibre mental n’ont pas subi le contrecoup des luttes qui ont laissé des cicatrices sur ses illustres ancêtres. Mon père avait à mes yeux perdu tout honneur : un homme bas qui s’était encore avili. Votre père, en grande partie grâce aux efforts du saint oncle qui porte le même prénom que vous – et à mes propres efforts – est à présent un droungarios de la Marine impériale.
    Le père de Michel, Stéphane Kalaphatès, ancien calfateur de bateaux, avait épousé la sœur de Joannès, Maria, et avait fait la preuve de son manque de compétences militaires en subissant une sévère correction des Carthaginois dans les eaux de Sicile.
    — Vous avez part à la gloire de votre père, et bien entendu, vous bénéficiez du reflet de la dignité impériale. Bien que le diadème ne repose pas sur votre tête, il en est assez près pour vous conférer une position éminente à laquelle la plupart des hommes se féliciteraient d’accéder après toute une vie de labeur et de dévouement. Passons maintenant en revue ce que vous avez fait, mon neveu, des dons qui vous ont été accordés avec une telle profusion que ma langue aurait peine à les énumérer. Oui.
    Joannès inclina la tête et posa ses énormes mains sur le document auquel il était en train de travailler.
    — Après une éducation mouvementée à Nicée, où il fréquentait davantage les actrices et les prostituées de la ville que ses maîtres de mathématiques et de rhétorique, le jeune Michel Kalaphatès s’est rendu à Antioche où, sous l’égide de son oncle Constantin, il a débuté son entraînement militaire. Oui, et il s’est passionné pour sa nouvelle profession – à supposer qu’une ville assiégée puisse être libérée par un coup de dés, ou qu’une armée en déroute retrouve son courage à la vue d’un char de course et de son équipage de quatre chevaux. Car à la vérité, Michel Kalaphatès a appris peu de choses des arts de la guerre. Mais dans tout le Levant on le considère comme un expert de premier ordre en épreuves sportives et jeux de hasard. Très bien. Mais venons-en à la conclusion de la brève histoire de Michel Kalaphatès.
    Il se mit à tambouriner sur la table en un geste mauvais, et ses yeux semblèrent s’enfoncer davantage dans leurs orbites creuses.
    — Michel Kalaphatès, après avoir été assommé d’un coup de massue devant la voiture de l’impératrice, a eu la chance de sauter en croupe d’un bandit tauro-scythe. Le voici donc invité dans la Ville impériale pour jouir de sa célébrité imméritée, qu’il compromet aussitôt en se faisant une réputation de coureur de jupons, de panier percé, de dilettante, de spéculateur à la petite semaine, et d’oisif porté sur la bouteille.
    Joannès se leva soudain et Michel repoussa machinalement sa chaise vers la porte.
    — On vous a apporté dans une litière de soie jusque sous la lumière éclatante du diadème impérial, et vous rampez déjà dans votre propre pénombre de débauche !
    La voix de Joannès gronda comme un