Byzance
l’homme avec qui je traite d’habitude. Ils m’ont dit de vous attendre, dit le Céphalonien.
On l’appelait ainsi parce qu’il venait de Céphalonie, une des îles Ioniennes au large de la côte occidentale de l’Hellade. Le Céphalonien avait le teint hellène, avec des cheveux blonds et des yeux bleus, mais ce n’était ni un Apollon ni un Hermès. En fait, il n’avait rien de très remarquable. Au milieu d’une foule, il passait entièrement inaperçu.
— Ah bon ? Et qui au juste vous ont-ils dit d’attendre ?
L’eunuque qui s’adressait au Céphalonien était jeune, encore alourdi par une graisse d’adolescent, avec des joues rouges dodues et un air ironique. Il parcourut des yeux les cuvots et les bassines de la petite fabrique de savon officinal, et l’odeur astringente lui fit plisser le nez.
— Ils m’ont dit d’attendre le chambellan de l’orphanotrophe Joannès. Voilà ce qu’ils m’ont dit. Le chambellan en personne. Et ce doit être vous, messire, vu l’allure et les manières de Votre Éminence.
Le Céphalonien toisa l’eunuque comme pour le jauger, puis fit une mine indiquant qu’il était favorablement impressionné. L’eunuque, en réalité un simple cubiculaire (une sorte de portier) de l’orphanotrophe Joannès, essaya de ne pas paraître trop ravi et s’efforça de durcir son attitude.
— Dans ce cas, bonhomme, ils doivent vous avoir dit pourquoi je venais, lança-t-il.
— Ça aussi, Éminence.
Le Céphalonien s’essuya les mains à sa tunique et se dirigea vers une longue étagère basse à l’autre bout de la pièce. Il en revint avec une petite boîte de bois qu’il tendit à l’eunuque.
— Composé juste ce matin et spécial comme il l’aime. Vous pouvez être sûr que l’ingrédient a toujours ses propriétés pharmacologiques.
Le Céphalonien ouvrit la boîte et laissa l’eunuque inspecter le morceau de savon à l’odeur forte, contenant des onguents spéciaux pour traiter un eczéma dont l’orphanotrophe Joannès était affligé.
— Inutile de préciser à Votre Éminence qu’il ne faut laisser personne d’autre utiliser ceci.
L’eunuque toisa le Céphalonien comme s’il appartenait à une forme de vie inférieure et ses lèvres se plissèrent de mépris.
— Voyons, bonhomme, vous croyez que nous tenons un bain public ?
* *
*
La fumée les tuerait avant que la flamme ne les atteigne. Puis quelque chose, peut-être Odin, orienta l’attention de Haraldr vers le haut. Les poutres du toit.
— Ulfr ! cria-t-il, l’épée déjà brandie.
Les deux hommes du Nord frappèrent comme jamais ils n’avaient fait au cours de leurs batailles. Mais la fumée emplissait leurs poumons et les suffoquait. Un craquement assourdi précéda une cascade stupéfiante de chevrons et de tuiles. Les poutres ne supportaient pas seulement le plafond mais le toit en pente de tout le bâtiment. De l’air se précipita dans la pièce et soulagea un instant leurs poumons, puis attisa la poix en feu. Ulfr avait une blessure à la tête et semblait complètement désorienté.
Haraldr aperçut la lune à travers la fumée qui montait. Les restes du toit s’élevaient au-dessus de lui comme une falaise de tuiles.
— Ulfr, il faut grimper !
Il s’élança sur les tuiles avec l’agilité du désespoir, et s’accrocha au faîte du toit. Ulfr faillit glisser dans la rue mais atteignit à son tour le perchoir précaire. Vers l’est, les lumières de la ville s’étendaient à perte de vue. Au-dessous d’eux, vers le sud jusqu’au mur de la mer et vers l’ouest, jusqu’au mur des terres, le Stoudion tout entier semblait exploser de feu, non seulement aux carrefours mais dans des dizaines de taudis comme celui-ci.
— Ils mettent le feu au quartier, cria Haraldr.
Les flammes jaillirent à travers les tuiles et une autre partie du toit s’effondra. La fumée étouffante s’épaissit et dissimula les autres incendies. Comme une araignée à quatre pattes, Haraldr descendit la pente du toit et cria à Ulfr :
— Les balcons !
Ulfr passa les pieds par-dessus la corniche. Le toit du balcon au-dessous était en feu.
— Nous tomberons probablement à travers les bois en feu jusqu’à ce que nous atteignions un sol ou un plafond qui ne brûle pas encore, dit Haraldr.
— C’est Odin qui te l’a appris ? demanda Ulfr. Et s’ils sont tous en feu ?
— Nous n’aurons pas besoin de bûcher funéraire.
Ulfr hocha la tête. Il
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