Byzance
devant le reste, et Haraldr crut revoir le Chien à Stiklestad, un pas en avant du mur hurlant – et les derniers pas de son frère.
— Pourquoi mettez-vous le feu au Stoudion ? demanda-t-elle, les yeux furieux.
Elle avait un long visage tiré, un visage qui n’avait jamais eu la moindre chance de beauté – et elle avait désormais passé l’âge de la beauté. Haraldr resta sans voix, puis comprit ce qu’elle voulait dire. Tout fut évident soudain : Joannès voulait faire d’une flèche deux coups. Il avait ordonné qu’on incendie le Stoudion en sachant très bien que le peuple attribuerait aux Varègues l’origine de cette calamité.
— Ce ne sont pas les Varègues qui ont provoqué ces incendies.
La foule explosa. Des poings s’agitèrent, les lances menacèrent. Par-dessus le tumulte, la femme cria :
— Vous voyez ce qu’ils pensent de vos mensonges.
La foule parut la soulever vers Haraldr. Il sentit ses racines païennes refaire surface et craignit d’entrer dans le monde des esprits sans son épée. « Christ, songea-t-il, où es-tu ? Me recevras-tu dans ton paradis si on me refuse l’entrée au Walhalla ? »
Ils l’entourèrent, le griffèrent, le frappèrent, et l’on poussa la femme contre lui. Elle lui sourit de ses dents gâtées.
— Existe-t-il une autre raison pour laquelle tu ne doives pas mourir, Varègue ? hurla-t-elle.
Il la regarda dans les yeux, ce n’était pas le visage de la Walkyrie tel qu’il l’avait imaginé, et il prononça les paroles qu’aucun dieu n’avait besoin de lui souffler :
— L’Étoile bleue.
Les yeux remplis de haine de la femme devinrent soudain aussi doux que ceux d’un enfant. Elle lança les bras en l’air, hurla et se mit à repousser la foule. Lentement, la meute s’apaisa et on entendit de nouveau les énormes flammes qui consumaient leurs demeures.
— Qu’est-ce que vous avez à voir avec l’Étoile bleue ?
— Je veux défendre la position des Varègues, convaincre l’Étoile bleue que nous n’avons pas incendié le Stoudion. Je crois savoir qui en a donné l’ordre.
La femme recula et toisa Haraldr pendant un instant. Puis, elle haussa les épaules et l’entraîna à travers la foule. Haraldr parcourut les visages des yeux, et prit conscience d’une autre forme du pouvoir romain, fort différente du pouvoir dont il avait pris conscience au couronnement du césar mais peut-être en quelque manière encore plus impressionnante. Et il comprit sur-le-champ que ces deux pouvoirs de la Grande Ville s’affronteraient un jour dans le sang.
Comme Haraldr l’avait soupçonné, l’Étoile bleue était au milieu de son troupeau : il le dirigeait de l’arrière. Sa silhouette énorme dominait la masse et sa barbe épaisse se dressait fièrement. Haraldr regarda les petits voyous vêtus de soie qui entouraient leur chef et se demanda s’il avait eu raison d’affronter si audacieusement ce petit prince de la rue.
— Alors tu veux voir l’Étoile bleue, dit le colosse.
Il leva la main pour que l’anneau de saphir soit visible. Haraldr hocha la tête. Les manières de l’homme venaient de le convaincre qu’il avait commis sa dernière erreur dans le royaume du milieu. L’Étoile bleue dévisagea Haraldr pendant un instant, puis inclina la tête. Ce fut la dernière chose qu’Haraldr vit : l’Étoile bleue qui s’inclinait vers lui.
* *
*
Sans ses vêtements, Joannès confirmait l’hérésie bogomile selon laquelle l’homme a été créé à l’image de Satanaël et non de Dieu. La peau lisse, cireuse, sans poils, habillait une forme diaboliquement tordue. Genoux et coudes énormes, comme des boules. Sternum en avant comme le bréchet d’un énorme oiseau sans plumes. Le pénis, réduit à un petit doigt solitaire, pathétique, ballottant sous un immense pubis en forme de pelle. Une broderie tortueuse d’eczéma écarlate courait des poignets aux épaules sur chaque bras.
— Je n’aime pas rester longtemps dans la chaleur sèche, dit Joannès. La chaleur humide ne prive pas la peau de ses humeurs.
Il semblait étrangement à l’aise. Il s’affaissa sur le banc de marbre et agita sa main grotesque en un geste languide à travers le brouillard de vapeur.
Michel regarda les mosaïques qui faisaient le tour des murs du bain de vapeur. Les appartements de Joannès se trouvaient dans un des bâtiments les plus anciens du Palais, construit à une époque où régnaient des modes et
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