Byzance
cordon.
— Voici l’un d’eux, dit un homme d’une trentaine d’années, aux yeux injectés de sang, en poussant devant lui un adolescent blond qui avait des entailles sur les lèvres et les yeux.
Du sang coulait sur son menton presque imberbe. La foule se déchaîna en un torrent d’accusations, de bras tendus, de mains agitées. Haraldr retint quelques mots dans l’ouragan des cris. Apparemment, plusieurs complices du jeune homme avaient lancé des choses dans la foule pour la distraire ; et le jeune homme avait, soit chapardé quelques vêtements, soit peloté quelques femmes, ou les deux. « Ridicule, se dit Haraldr. Ces choses-là ne sont pas des crimes au Stoudion. Que se passe-t-il en réalité ? » Il fit signe à Ulfr de se tenir sur ses gardes. La foule continua de protester. Enfin, l’homme aux yeux rouges saisit le bras de Haraldr et lui montra le ciel. Le taudis s’élevait à huit et peut-être neuf étages de la rue, et le feu avait pris sur le balcon le plus élevé, juste au-dessous du toit de bois. De petites silhouettes se détachaient sur la lueur, et faisaient de grands signes. Soudain des braises se mirent à tomber en pluie. Un gros brandon enflammé s’écrasa au milieu de la foule et tout le monde se dispersa, parmi une cacophonie de jurons. Haraldr comprit alors l’inquiétude. Si misérable que fût le Stoudion, c’était la demeure de ces épaves. Et au-dessus d’eux dans la nuit se trouvaient les germes de destruction du quartier tout entier.
— Ulfr, choisis les hommes les plus forts !
Haraldr prit par la tunique l’homme aux yeux rouges et l’entraîna à sa suite. L’homme comprit et fit signe à quatre de ses amis. Un autre groupe de six ou sept jeunes gens suivit Ulfr à l’intérieur de l’immeuble. Du bâtiment branlant, souillé de fumée, émanait une odeur de déchets humains. Les escaliers n’étaient que d’étroites lattes de bois ; certaines marches manquaient. Au troisième palier, un gamin assis dépouillait un petit rongeur avec un morceau de tuile affûté. Les couloirs étaient sinistres et nus mais sans la moindre ordure ; apparemment les occupants lançaient tout dans les rues. Dans le couloir qui partait du neuvième palier, deux jeunes hommes, la tunique relevée, étaient en train de forniquer. Haraldr écarta les amants et poussa la porte à fond. Une dizaine d’autres jeunes gens, assis à même le sol nu, se faisaient passer des jarres de vin en criant ; une femme nue était à califourchon sur l’un d’eux. L’arrivée soudaine du géant aux cheveux blonds ne parut pas les troubler outre mesure.
— Ne bougez pas ! cria Haraldr en agitant son glaive. Si vous vous levez, vous vous ferez couper les jambes.
Il regarda le balcon sur lequel s’ouvrait la pièce. Le feu commençait à l’attaquer.
— Prenez les tuniques, cria Haraldr, supposant qu’on ne trouverait pas d’eau dans le bâtiment et que la meilleure solution serait d’étouffer les flammes.
— Enlevez vos tuniques ! cria Ulfr en ordonnant à ses aides de rassembler les vêtements de toile.
Un jeune homme bondit et se jeta sur l’un des amis de l’homme aux yeux rouges. En un instant, tout ne fut que chaos sanglant. Ulfr recula, ne sachant qui étaient amis ou ennemis. Il s’aperçut trop tard que leurs seuls alliés étaient l’homme aux yeux rouges et ses quatre camarades. Les jeunes qui se trouvaient déjà dans la pièce et les six qui avaient suivi Ulfr les assommèrent et les poignardèrent.
Haraldr, de son épée, terrassa quatre des jeunes avant que les autres ne se glissent par la porte. La femme resta dans l’angle avec une jarre de vin bloquée contre sa poitrine. Haraldr hésita. Son instinct lui conseillait de filer, mais il regarda les corps de l’homme aux yeux rouges et de ses amis, morts ou à l’agonie, et décida qu’il devait accorder au moins cette chance au peuple du Stoudion.
— Prenons leurs vêtements, cria-t-il à Ulfr.
Le balcon explosa, en lançant des braises et des gouttes brûlantes de la poix qui avait manifestement servi à allumer l’incendie. Un rideau de feu poussa Haraldr vers la porte. Ulfr poussa un cri et Haraldr se retourna. Le couloir était une fournaise, le sol inondé de poix en feu. Haraldr parcourut des yeux les murs nus sans fenêtres et comprit que dans cet horrible endroit qui faisait offense aux dieux, il avait finalement perdu la faveur d’Odin.
* *
*
— Vous n’êtes pas
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