Byzance
cheval qui s’avançait était un arabe blanc caparaçonné d’or et de pourpre, et le cavalier, dans la plus belle des armures d’or, portait des bottes pourpres et une cape pourpre qui flottait derrière ses épaules. Il était tête nue avec un simple bandeau orné de pierreries sur le front. « Joannès est-il devenu fou ? se dit Haraldr. Engager un imposteur pour jouer le rôle de l’empereur ? »
Mais quand le cavalier arriva à une cinquantaine de coudées, Haraldr s’aperçut qu’il n’avait pas sous les yeux une imposture mais un miracle. L’homme revêtu de la pourpre impériale était l’empereur Michel. Certainement pas le même homme que Haraldr avait admiré à son arrivée à Byzance, mais ce n’était pas non plus l’épave lamentable qui se traînait, à l’agonie, quelques jours plus tôt, dans son couvent pour prostituées. Il avait encore les traits enflés, mais il se tenait droit en selle et guidait son cheval d’une main ferme.
Quand l’empereur parvint à une douzaine de coudées, Haraldr constata que ses yeux étaient plus puissants, plus résolus que jamais – les yeux d’un homme qui avait vu le fond de l’abîme mais qui possédait une volonté assez forte pour en ressortir.
— Grand domestique ! César ! cria l’empereur d’une voix qui domina même la tempête des acclamations. Vous chevaucherez côte à côte à la tête des Scholae impériales.
Michel Kalaphatès et Dalasséna ne tentèrent même pas de dissimuler la stupéfaction qui se peignit sur leurs traits. Ils firent volte-face tandis que l’empereur se tournait vers Haraldr et vers Mar.
— Hétaïrarque ! Manglavite ! Vous vous tiendrez derrière moi ! Je serai seul à la tête des armées de Rome.
Mar et Haraldr s’inclinèrent profondément et prirent leur place derrière Michel. L’empereur se signa trois fois, puis éperonna légèrement son cheval et le puissant animal fit le premier pas vers l’ouest. Répondant immédiatement à ce signal, les rangs de l’armée s’élancèrent vers le destin de Rome. Au-dessus d’eux, le premier rayon de soleil toucha les rayons de bronze qui couronnaient la tête de Constantin.
— Et je ne peux donc que répéter ma conclusion : l’auteur de la Taktika nous met en garde contre une attaque de front en ces circonstances, assura le grand domestique Bardas Dalasséna.
L’empereur, assis très raide sous le dais de pourpre de son trône portatif, semblait plus intéressé par les motifs géométriques du tapis de laine étalé devant lui que par le discours tactique de son grand domestique. Le lustre qui pendait de la tente impériale en brocart faisait briller les plaques pectorales des Varègues de la Grande Hétaïrie disposés en arc parfait autour de Sa Majesté. Un prêtre posa une icône encadrée d’or et un encensoir d’or aux pieds du monarque.
— Un résumé convaincant et cohérent des thèses de l’estimé Léon, dit l’empereur d’une voix neutre avant de lever enfin les yeux.
Il parcourut de son regard incisif le groupe d’officiers subalternes qui entouraient Dalasséna ; tous, comme le grand domestique, portaient des vêtements de cour plutôt que des uniformes militaires, bien que le matin même des engagements préliminaires se fussent produits avec des unités de reconnaissance de l’armée bulgare.
— Domestique des Excubitores, dit l’empereur, voulez-vous nous donner, dans un esprit de libre spéculation, les vues de l’auteur du Strateghikon en la matière. Je sais que vous êtes versé dans ce genre de littérature.
Haraldr regarda par-dessus les têtes des officiers alignés devant lui le nouveau domestique des Excubitores, Isaac Camytzès. Il regrettait que son vieil ami Nicon Blymmédès ne fût pas présent ; malheureusement Blymmédès, l’ancien domestique des Excubitores, avait été muté dans une garnison de Sicile, officiellement parce qu’il n’avait pas réussi à protéger l’impératrice près d’Antioche, mais en fait parce qu’il s’opposait systématiquement aux stratégies timorées de Dalasséna. Mais Camytzès était un disciple de Blymmédès, et l’empereur offrait à un jeune officier compétent l’occasion de parler sans s’exposer à des accusations d’insubordination par un officier supérieur.
Camytzès s’avança à mi-chemin entre l’empereur et les autres officiers. Il n’avait guère plus de trente ans, était de taille moyenne et possédait le
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