Byzance
sur les risques des courses de chars que sur ceux de la bataille. Peut-être pourrai-je en revanche vous offrir quelque assistance d’un autre ordre ?
« Je savais bien que ce Kalaphatès n’était pas un idiot », se dit Mar.
— Ma foi, Altesse, c’est d’une sorte de pari que j’aimerais discuter. Ou peut-être, pour utiliser un terme du commerce, d’une spéculation. Disons que cela concerne le prix d’un certain joyau.
Les yeux de Michel brillèrent d’intérêt.
— Le bijou qui m’intéresse est à présent sans valeur, reprit Mar. Il s’est produit pas mal de spéculations autour de ce bijou particulier, mais l’acheteur en perspective – appelons cet acheteur hypothétique « Oncle » – s’est envolé quand il s’est aperçu qu’il possédait déjà un joyau similaire, qu’il croyait avoir perdu. C’est une circonstance malheureuse pour le possesseur de ce bijou devenu sans valeur – car il n’a pour ainsi dire aucune valeur – et sans le revenu que l’on attendait de sa vente éventuelle, le possesseur ne sera peut-être même pas capable de manger. Oui, il risque de mourir de faim. Le voici donc qui erre dans les rues, tout seul, dénué de tout, lorsque survient un ami qui comprend son malheur et propose de lui rendre service.
Mar regarda Kalaphatès dans les yeux.
— Cet ami lui offre de détruire l’autre bijou, ce qui élèvera aussitôt au-delà de toute raison la valeur du bijou qui reste. Et pour cet incroyable bienfait, l’ami ne réclame qu’une récompense de pure forme.
— Et quelle récompense de pure forme réclame cet ami, hétaïrarque ?
Les yeux sombres de Michel étaient presque aussi fous que ceux du Varègue. Mar se leva et son énorme masse sembla emplir la tente. Sa voix, en contraste, n’était qu’un murmure.
— Votre ami demande qu’au moment où vous recevrez le paiement de l’oncle pour ce bijou, quand vous serez certain de ne plus avoir besoin de rien pour le reste de vos jours… Cet ami vous demande de lui permettre de tuer cet oncle et de récupérer le bijou. Vous garderez l’argent que l’on vous aura donné pour le bijou, et votre ami gardera le bijou.
Michel leva les yeux vers Mar et sa voix glissa comme une plume sous le vent.
— L’argent si je comprends bien, c’est ma vie. Je la garde.
Mar acquiesça.
— La vie d’un césar de Rome, dirons-nous. Un césar très respecté, extrêmement bien protégé, avec son trésor personnel financé par une nouvelle taxe agraire, un revenu dont il pourra jouir librement sans que pèse sur ses épaules le fardeau des affaires de l’État.
Michel savoura déjà cette vision.
— Et le bijou que vous recevrez, hétaïrarque, sera…
— Le diadème et les fonctions d’empereur, autocrate et basileus des Romains.
* *
*
L’aube était étrangement lumineuse, le dôme des nuages au-dessus des têtes paraissait déteint, la pluie régulière semblait capturer et intensifier la lumière. Un faucon planant dans les cieux aurait aperçu les armées de Rome comme une large ceinture rectangulaire d’or, d’argent et d’écarlate étalée sur une plaine verte et morne.
L’empereur éperonna son cheval vers les rangs de ses officiers supérieurs groupés devant les étendards de la Grande Hétaïrie.
— Droungarios, lança-t-il, le rapport du mandator général.
Le mandator général s’avança et s’inclina. Cet homme ventru, qui n’avait pas du tout l’allure militaire, portait toujours autour du cou une petite icône d’émail. Il était responsable de l’analyse des renseignements réunis par des akritès sous ses ordres, par ses espions dans le camp ennemi et par les paysans de la région.
— Majesté, ils ont établi leur camp à peu près selon la pratique des Romains, mais avec une variante décisive. Au lieu d’un périmètre de fossés et d’un cordon de chausse-trappes, ils ont simplement planté des épieux. Peut-être ont-ils également creusé des fossés pour briser les pattes des chevaux. Ils supposent que nous lancerons aujourd’hui un engagement restreint, en attaquant leur flanc avec de la cavalerie légère. Comme le sol est assez boueux sur le front bulgare, leur déploiement sera relativement limité. Mais la configuration du terrain leur permet de faire avancer des renforts rapidement sur la ligne.
L’empereur fit pivoter son cheval et examina la ligne bulgare, masse confuse de chariots, de chevaux et de mules.
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