Byzance

teint sombre arménien qui semblait caractéristique, de la plupart des bons soldats de Rome (bien que Dalasséna lui-même eût lui aussi l’apparence noiraude des Arménikoi).
    — Nicéphore Phocas, l’auteur estimé du Strateghikon, préconise comme la plupart des auteurs, vous le savez, l’utilisation de cataphractès en formation de phalange pour pouvoir diviser toute formation défensive…
    — Des cataphractès ! ricana Dalasséna avec une grossièreté destinée à humilier son jeune subalterne. Où sont les cataphractès ? Rome n’a pas employé de cavalerie lourde pendant presque un siècle, domestique. Trop difficiles à manœuvrer pour être efficaces au combat, lança-t-il en agitant le doigt et en se rengorgeant dans son immense vanité.
    Camytzès attendit que Dalasséna recule au milieu des autres officiers.
    — Majesté, je n’ignore pas que nous n’employons plus de cataphractès. Mais nous employons cependant une force puissante d’infanterie lourde habituée à se battre en formation de phalange…
    De nouveau Dalasséna bondit en avant.
    — Je suis obligé de protester, domestique. Vous êtes malade. Je vais demander au médecin de votre unité de vous examiner immédiatement à l’hôpital de campagne. Vous imaginez que toutes sortes de guerriers mythiques se sont joints à notre armée. Bientôt vous ferez appel à Achille en personne pour conduire les Achéens affligés dans l’attaque que vous méditez ! s’écria-t-il en s’esclaffant de sa plaisanterie grossière.
    — Majesté, reprit Camytzès sans se démonter, la force à laquelle je fais allusion est celle des Varègues de la Grande et de la Moyenne Hétaïrie. J’ai entendu des rapports élogieux sur l’efficacité de la formation en coin, en groin de sanglier, comme ils disent, employée par le manglavite et son unité contre les Seldjouks en Asie Mineure. Et nous connaissons bien entendu l’efficacité de la Grande Hétaïrie pour l’avoir vue de nos propres yeux. Nous disposons d’une force de frappe supérieure, et nous devons l’utiliser pour briser le front des Huns et diviser leurs forces. (Hun était le sobriquet de dérision que l’on donnait aux Bulgares.) Nous nous apercevrons ensuite que les tactiques remarquables de cavalerie légère suggérées par l’auteur de la Taktika pourront être appliquées pour surprendre, poursuivre et annihiler les restes de l’ennemi. Mais sans une attaque frontale décisive, les Huns seront comme un poing que nous ne parviendrons jamais à ouvrir. Ouvrons le poing d’abord, nous pourrons ensuite hacher facilement chacun des doigts.
    L’empereur se tourna vers Dalasséna comme pour solliciter une réfutation. Dalasséna soupesa les options. Si cette stratégie de Camytzès avait la moindre chance de succès, il fallait qu’il s’oppose à elle. Mais sinon, elle aboutirait à une défaite, et donc à l’adoption définitive de ses propres stratégies de prudence et à la destruction du mythe absurde de l’invincibilité des Varègues.
    — Ce plan est proposé de manière grossière, Majesté, mais ne me paraît pas sans mérite dans sa configuration primitive dans la mesure où il combine des éléments de la Taktika et du Strateghikon . J’aimerais cependant consulter les rapports sur le temps qu’il fera.
    L’empereur fit signe à l’officier de météorologie de s’avancer. C’était un homme âgé qui marchait avec une canne sculptée en forme de serpent et parlait d’une voix haletante. Il avait participé aux campagnes du Bulgaroctone des décennies plus tôt.
    — De la pluie ce soir. De la pluie demain matin, de la pluie à midi. De la pluie en fin de journée. On croirait que les quarante jours et les quarante nuits du Déluge ont commencé.
    — Majesté, dit Camytzès, la pluie ne saurait favoriser une attaque comme celle que j’ai décrite. Je crois que dans ce cas, l’auteur du Strateghikon recommanderait d’attendre ou de réviser notre stratégie.
    — Majesté, répliqua Dalasséna, nous ne pouvons pas attendre. Les dépêches que nous avons reçues de Salonique par pigeons voyageurs indiquent des préparatifs d’assaut de la ville. Si nous laissons les Huns investir Salonique, nos problèmes seront multipliés par cent. Le domestique a proposé une stratégie novatrice et excellente. Il devrait apprendre à imposer ses théories avec davantage de conviction. Et nos intrépides Varègues, que rien ne fait frémir, se