Byzance
de se trouver à portée des flèches, Mar se retourna et cria :
— Le sanglier !
Les rangs de la Grande Hétaïrie se replièrent comme des ailes sur la Moyenne Hétaïrie, pour former une pyramide de chair et de métal, les hommes de Mar à l’extérieur et ceux de Haraldr formant un coin massif, irrésistible. L’empereur prit place juste devant Haraldr, à l’intérieur et au museau de ce sanglier. Mar resta seul à la pointe du sanglier extérieur, le visage tordu par la Rage.
Les cris gutturaux des Bulgares se calmèrent en même temps que la formation varègue, pareille à une énorme flèche mortelle, se dirigeait vers son centre. La pluie tombait en grosses gouttes claires. Mar leva sa hache dorée. À l’unisson, les Varègues frappèrent les planches de chêne dur de leur bouclier avec les lames de leur hache. En cadence, comme la respiration d’une bête colossale. Et le sanglier continua d’avancer à ce rythme de mort.
Les flèches bulgares commencèrent à tomber en essaims serrés, mais la plupart crépitèrent sans faire aucun mal sur les byrnnies, les casques et les boucliers. Des cris de mise en garde s’élevèrent à l’approche des rangées de pieux pointus enfoncés dans la terre, et le sanglier se déforma un instant tandis que les hommes manœuvraient autour de ces obstacles grossiers. Deux Varègues du premier rang tombèrent dans une fosse peu profonde dissimulée par de l’herbe ; l’un d’eux en ressortit mais l’autre se mit à hurler – il s’était empalé sur un épieu. Les Bulgares devinrent des visages individuels, des mentons mal rasés, des nez rouges, des dents gâtées.
On entendit le cri de guerre de Mar, curieusement étouffé, au-dessus du vacarme assourdissant. Il se mit à frapper les fantassins vêtus de toile du front bulgare, et ses puissants coups de hache étaient si rapprochés que ses ennemis semblaient s’agenouiller rituellement à son passage – sauf que les involontaires suppliants étaient oints du sang frais de leurs crânes brisés et de leurs bras tranchés. Mar monta sur le monceau de ses victimes hachées dont les corps continuaient de se tordre, et à peine eut-il tué une douzaine d’hommes que les Bulgares battirent en retraite sans même offrir de résistance, bousculant et renversant deux lignes arrière pour échapper à la vengeance varègue. Le reste du sanglier suivit Mar sans ralentir, comme s’il n’avait rencontré aucune opposition.
Au milieu du sanglier, Haraldr et ses hommes n’avaient guère qu’à se protéger des flèches et à enjamber les cadavres grotesques, pêle-mêle. Au début, les corps gisaient dans quelques pouces de boue sombre, mais bientôt les morts et les mourants se trouvèrent submergés dans une masse collante. L’avancée des Varègues, comme la retraite des Bulgares, ralentit inexorablement. La pluie de flèches et de lances devint plus lourde, plus drue. Des Varègues commencèrent à tomber dans la boue. Le sanglier s’arrêta. Haraldr monta sur le dos d’un mort pour regarder vers l’avant. Mar, enfoncé dans la boue jusqu’aux genoux, était immobilisé, accroupi derrière son bouclier, tandis que les archers et les lanceurs de javelots contre-attaquaient. Les hommes de Mar s’avancèrent pour le protéger, mais les phalanges de l’infanterie bulgare, armées de lances, les forcèrent à reculer. Haraldr comprit aussitôt que les hommes de la Grande Hétaïrie, handicapés par leurs bottes, ne pourraient plus avancer. Il lança ses ordres à Ulfr et à Halldor derrière lui.
— La Moyenne Hétaïrie passe en tête.
Haraldr cria son plan à l’empereur, qui le suivit sans peur vers le museau du sanglier embourbé.
— Je prends la pointe ! cria Haraldr dans les oreilles de Mar. Quand nous serons passés, vos hommes auront le temps d’enlever leurs bottes et pourront venir derrière nous pieds nus.
Mar hocha la tête, mais il avait le regard vitreux d’un homme ivre. « Il est au plus profond du monde de l’esprit », se dit Haraldr.
— Vous m’avez entendu ? hurla-t-il.
— Oui ! Nous vous suivrons.
Haraldr attacha sa hache dans son dos et dégaina son épée. La Rage le saisit comme un loup en colère. Il bondit sur un fantassin bulgare vêtu d’une tunique de cuir piquetée de métal et lui trancha un bras et la moitié du buste. Les camarades du mort reculèrent à l’apparition de ce nouveau Titan du Nord, et Haraldr continua d’avancer en
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