Byzance
le jarl se leva, ôta son casque et frotta ses cheveux blancs trempés de sueur. Haraldr eut l’impression d’avoir miraculeusement échappé à une autre humiliation, et pourtant il se sentait vaguement déçu, comme s’il venait de manquer une occasion merveilleuse.
On hala les bateaux sur des rouleaux et on les fit glisser sur la vieille piste de portage à une vitesse surprenante. De la poussière chaude bloquait les gorges, et le soleil frappait d’un éclat de métal. L’après-midi s’écoula au milieu des grincements sans fin. Le portage suivait un chemin relativement dégagé dans une région boisée. Les porteurs coupaient les buissons et les petits arbres qui avaient poussé en huit ans d’inutilisation. De temps à autre, des estafettes venaient signaler au jarl la perte d’un homme sous les flèches des Petchenègues, mais aucune attaque concertée ne semblait s’organiser contre la ligne de bateau qui s’étendait à présent le long du fleuve sur une demi-ramée. Les Varègues, détachés à des points jugés plus dangereux le long de la file, allaient et venaient en groupes de cinquante ou cent hommes, en bon ordre dans leurs byrnnies colorées.
Haraldr fut surpris d’entendre Gleb annoncer que le portage était aux trois quarts terminé. Les défenses se relâchèrent. Quelques hommes purent dérober quelques instants de repos sur un tas de fourrure ou un tonneau de viande en saumure. Hakon, suivi par ses chiens, longeait la plage, en laissant traîner dans le sable la pointe de son énorme hache incrustée d’or. Voyant le jarl Rognvald, Haraldr et Gleb, il se dirigea vers eux, en souriant comme un castor.
— Jarl Rognvald, cria-t-il en s’avançant, tu as vu ce qui s’est passé, hein ? Ces suceurs d’étrons connaissent bien Mar Hunrodarson, et on dirait qu’ils ont aussi appris qui est Hakon l’Œil-de-Feu.
Il souleva sa hache vers sa poitrine.
— Ils ne nous attaqueront pas.
D’un geste comique dans son emphase, il passa le doigt sur le tranchant de son arme.
— La faucheuse-de-têtes, là, est furieuse contre ces sauvages rongeurs de cadavres. Elle a soif du vin des corbeaux.
Puis Hakon posa soudain sur Haraldr ses yeux de fauve menaçant.
— Tiens, Bois-Vert. Je te reconnaissais à peine avec tes jouets de bataille. Et sur tes pieds au lieu d’être à genoux.
Il frappa sur le plastron de la cuirasse du jeune homme.
— Tu as dû faucher la bouilloire d’une pauvre vieille pour faire ça.
Haraldr demeura passif, silencieux, comme si son corps avait perdu soudain toute volonté, même la faculté de penser, et cela l’agaça.
Las de ce petit jeu, Hakon repartit vers son bateau et envoya un groupe de ses Varègues vers l’amont, puis il se mit à bavarder avec ses deux concubines et quelques esclaves, avant de revenir avec son faucon sur son poing.
— Un chasseur de pélicans ! annonça-t-il à la cantonade avec un rire fier de gamin.
Il ôta le capuchon doré à plumet de l’oiseau de proie. Gleb plissa son gros nez rouge.
— Cette odeur ne me plaît pas.
— Mon faucon sent moins mauvais que toi, Slave mangeur de poux ! jappa Hakon.
Gleb fit comme s’il n’avait rien entendu et se tourna vers le jarl Rognvald. Il n’avait pas fait allusion à l’oiseau. Le faucon s’éleva dans les airs et Gleb continua de renifler. Haraldr remarqua que les chiens de Hakon avaient dressé les oreilles. Il reprit son épieu.
Une boule de plumes dans la lumière cuivrée. Le faucon de Hakon tomba vers le fleuve comme une pierre.
— Le mur de boucliers ! cria Gleb.
Le hurlement strident venu des bois perça même la plainte monstrueuse d’Aeifor. La première vague des Petchenègues parut tomber d’elle-même sur les lances dressées du mur de boucliers formé à la hâte ; en fait, elle était poussée par les rangs de derrière. Pendant quelques instants, le mur de boucliers recula sous le simple poids des Petchenègues, puis il se brisa. La horde se déversa à l’intérieur et cette fois, Haraldr vit la mort s’avancer sous la lumière brûlante du jour. Repoussé inexorablement vers le fleuve, participant impuissant à la danse de mort, il vit la horde petchenègue surgir sur sa gauche au bord du fleuve, et le groupe des Varègues de Hakon, bardés de métal, battre en retraite avec une promptitude choquante encore plus à gauche, vers l’amont, puis disparaître dans un bosquet d’arbres. Hakon, dans sa byrnnie d’or, pareil à une
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