Byzance
d’élite du khan. Et ils étaient si nombreux qu’ils bloquaient l’horizon.
Haraldr comprit qu’il ne lui restait plus qu’une seule option : entraîner autant de ces âmes qu’il serait possible avec lui au Walhalla. La garde d’élite s’élança. Des lances frappèrent l’invulnérabilité souple d’Emma ; les coups ne brisèrent pas les maillons, mais Haraldr sentit ses côtes se briser dans sa poitrine. Tout autour de lui, ses hommes s’écroulaient et, en un étrange requiem machinal, il psalmodia en silence leurs noms à mesure qu’ils tombaient : Joli Stefnirson, Kolskeg Helgison, Thorvald Kodranson. Un javelot effleura son cou et il sentit immédiatement la chaleur humide du sang. C’était ce que le rêve de Maria lui avait promis, c’était le destin qu’il avait lu dans les yeux de Maria la première nuit où elle l’avait entraîné dans leur mystère.
Il se trouva isolé. Même le bouclier final désespéré dont il avait ordonné la formation s’était effondré. À chaque coup qu’il donnait, son bras lui faisait plus mal, et pourtant les démons furieux de métal ne parvenaient pas encore à le terrasser. Il n’avait plus la moindre idée de l’endroit où se trouvaient ses hommes – Ulfr, Halldor, l’empereur… Évoquait-il leurs noms parce qu’eux aussi étaient tombés ? Un coup venu de derrière faillit faire basculer son casque et une lumière brilla devant ses yeux. Il secoua la tête pour la chasser, mais elle refusa de partir. Le soleil. Le soleil venait d’écarter les nuages et de lancer un rayon éclatant sur la horde bulgare juste devant lui. Il comprit aussitôt qu’il devait s’y jeter. Il bondit vers cette lumière, en un dernier assaut désespéré avant qu’elle ne disparaisse, comme la voix d’Odin, sous les ailes noires du dernier dragon. Il envoya une mâchoire voler vers le ciel en mille éclaboussures écarlates. Son épée frappa une byrnnie si fort qu’il sentit les os se briser sous la pelure d’acier. Sur sa foi et son courage, sans savoir pour quelle raison il fallait qu’il atteigne cette lumière, il s’élança, puis il s’aperçut que d’autres hommes s’étaient joints à lui, des hommes qu’il avait crus perdus : d’abord l’empereur, puis Ulfr et Halldor, et le frère de Joli, Hord. Quand il regarda par-dessus son épaule, il vit des dizaines de ses hommes encore avec lui, qui avançaient toujours, vers cette lumière comme lui. C’était la soif de sang de la Moyenne Hétaïrie qui le poussait maintenant depuis l’arrière.
Quelque chose se brisa dans l’immense corps de l’armée bulgare. Pendant un instant, les gardes du khan hésitèrent, surpris par la résistance de la bête ensanglantée, mais plus furieuse que jamais, qui venait de pénétrer au cœur de leur grande horde, jusqu’à la dernière redoute humaine de leur khan. Puis ils cédèrent, comme vaincus par une peur collective, primitive. Un grand nombre abandonna les armes et se mit à courir vers les pelotons de la cavalerie romaine, préférant la capture à un destin moins certain sous les dents de la bête qu’ils ne parviendraient jamais à tuer. Ceux qui se trouvaient trop près du sanglier pour songer à le fuir tombaient simplement à genoux pour implorer miséricorde. Parmi ces hommes terrifiés se trouvait le khan bulgare.
Haraldr regarda autour de lui. Il était au milieu du rayon de soleil dont la lumière se reflétait sur les casques et les byrnnies des Bulgares humiliés dans la boue. Tout autour d’eux gisaient des monceaux d’armes abandonnées, comme si une armée fantôme venait de disparaître en laissant derrière elle son armement emprunté aux vivants. Très loin sur la gauche et la droite, il aperçut les cavaliers des Scholae, des Hyknatoï et des Excubitores, étendards fièrement brandis tandis qu’ils rassemblaient d’immenses cohortes de prisonniers bulgares. Derrière les rangs ensanglantés, horriblement décimés de la Moyenne Hétaïrie, on ne voyait que des cadavres.
L’empereur s’avança au milieu des Bulgares à genoux.
— Alounsianos ! appela-t-il.
C’était le nom du khan bulgare. Un homme de taille moyenne, le visage livide, se leva de la boue. Ses mains jointes tremblaient. Les nuages se refermèrent sur le soleil et la lumière s’estompa sur le khan vaincu. Puis les nuages s’écartèrent soudain et le soleil explosa dans tout son éclat et au moment où Haraldr, perdant son sang,
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