Byzance
s’évanouit, il eut l’impression de s’envoler vers un dôme d’or.
Sixième partie
Le préfet de la Ville et le logothète du Symponos attendaient le parakoimoménos du Palais impérial sous la voûte de la Porte d’Or. La grande muraille s’élevait au-dessus d’eux, le soleil du matin faisait briller l’invincible citadelle de pierre. Suivi par son escorte de cubiculaires impériaux, vêtus de soie blanche éclatante, le parakoimoménos salua le préfet et le logothète en inclinant sa tête couronnée de cheveux d’argent.
— Merveilleux, dit-il en parcourant des yeux l’avenue qui s’étendait devant eux.
La Mésé, d’une blancheur sans tache, s’étendait vers l’est jusqu’au Palais impérial et formait à perte de vue un corridor de tapis et de tapisseries aux couleurs éclatantes. Une marée humaine, retenue par des cursores et les Khazars, s’entassait de chaque côté de l’avenue.
Le parakoimoménos se tourna vers le soleil levant, plissa les yeux et jugea qu’il était temps que commence la longue journée.
— Komès des murailles, ordonna-t-il, ouvrez les portes.
Les assistants du komès, en armure de cérémonie, ouvrirent les énormes portes de bronze et les dignitaires s’écartèrent pour laisser entrer le cortège dans la ville.
Le premier cavalier était assis sur un vieil âne à l’œil terne. Il portait des haillons déchirés et l’on avait drapé en guirlandes sur ses épaules des tripes de porc couvertes de mouches. Le cavalier ne pouvait pas voir le spectacle devant l’âne car il était assis à l’envers, tourné vers la croupe de l’animal. Il ne pouvait pas voir non plus derrière lui parce que ses yeux couverts de croûtes et de pus avaient été brûlés au fer rouge. L’homme sans yeux redressa la tête en réponse à la fantastique tempête d’obscénités et de quolibets qui l’accueillit, et la Ville impériale put voir aussitôt le visage hideux, sans nez, du monstre qui avait osé l’attaquer : Alounsianos, khan de Bulgarie, avait enfin pénétré dans les murs de Rome.
Les généraux bulgares suivaient à pied, puis leurs officiers et leurs hommes, cortège sans fin de visages hagards et de tuniques sales. Comme le Pantocrator est miséricordieux, la plupart avaient conservé leurs yeux et leur nez. L’armée des vaincus, flanquée par des Khazars bardés de fer, n’était plus qu’un étrange serpent de misère, couleur de poussière, qui se mit à ramper lentement dans le décor polychrome de la ville triomphante.
Le parakoimoménos calcula de nouveau l’heure au moment où le dernier des Bulgares disparut dans la Mésé. Incroyable. Il ne s’attendait pas à ce que l’on ait fait prisonniers autant de ces infâmes Barbares. Il fit signe au logothète du Symponos, et sur l’ordre de celui-ci des centaines de balayeurs de rues s’élancèrent sur l’avenue. On lava de nouveau la rue, cette fois avec de l’eau de rose. Puis des centaines d’ouvriers étalèrent des tapis épais, richement décorés, sur les dalles parfumées. Des dizaines d’autres suspendirent des flambeaux et des lustres sous les arcades. Les habitants de la rue accrochèrent des lampes à huile et des encensoirs à leurs balcons. On plaça des icônes couvertes de pierreries sur les balustrades et la foule des spectateurs se mit à brandir des rameaux de laurier et d’olivier. Puis toutes les lampes s’allumèrent, complétant la transformation de l’immense artère centrale de la ville en une nef de cathédrale resplendissante.
À l’extérieur des murs, un orchestre se mit à jouer et la foule répondit par des vivats retentissants. Le parakoimoménos fit signe au cubiculaire désigné d’apporter les couronnes de la victoire – deux couronnes de laurier toutes simples – et le bracelet d’or et de perles que l’on offrirait également à l’empereur. « Extraordinaire, pensa le parakoimoménos. Le Varègue Haraldr Nordbrikt recevra la deuxième couronne de victoire et marchera directement derrière Sa Majesté. » Bien entendu, le Bulgaroctone l’aurait approuvé, mais cela n’en était pas moins extraordinaire. Et les autres changements ! La Moyenne Hétaïrie défilerait aussitôt après l’empereur et le manglavite, mais la Grande Hétaïrie ne défilerait pas du tout. Le bruit courait qu’elle encerclait les restes de l’armée bulgare du côté de Nicopolis. Et l’on racontait aussi que le grand domestique serait
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