Byzance
silence.
— J’étais très jeune. Pas encore une femme. Le Palais traversait une période de troubles. L’empereur Constantin, déjà très âgé quand il avait hérité le diadème des mains de Basile le Bulgaroctone, se sentait sur le point de mourir. Pour pouvoir perpétuer la dynastie macédonienne, il lui fallait trouver un gendre pour l’une de ses filles nées dans la pourpre. Romanos était préfet de la ville, manifestement compétent à ce niveau du gouvernement, même s’il se révéla plus tard parfaitement incompétent comme empereur. Mais il parlait bien, dignement, et il avait la stature que l’on attend d’un souverain. Et pour un homme – que la Théotokos me pardonne – , pour un homme aussi creux et vide que Constantin, cela suffisait. Il s’entêta à le vouloir comme son successeur bien que Romanos fût déjà marié à une dame de la cour. On força l’épouse à se retirer dans un couvent, le divorce fut accordé et l’on offrit Romanos à Théodora. Elle eut le courage de refuser à son père et depuis lors elle a été punie de ce refus. Zoé n’a jamais su résister à son père, et elle a payé le salaire de sa soumission. Mais c’est une autre histoire… L’objet de ce prélude est simplement de vous montrer que les deux femmes sur lesquelles j’avais toujours compté se trouvaient soudain emportées par le destin. Moi qui avais toujours craint d’être abandonnée sans amour ni conseil, je me trouvais entièrement seule.
Elle s’arrêta un instant et mordit machinalement sa lèvre inférieure.
— Un homme se rapprocha de moi vers cette époque, un homme assez âgé pour être mon père, et au début ce fut vraiment mon père. Le père dont j’avais rêvé, un homme que ses hauts faits dans l’armée avaient élevé à un pouvoir civil influent au Sénat. Il avait encore les cheveux sombres de la jeunesse et déjà le regard clair de la sagesse.
Haraldr regarda le profil élégant de Maria et comprit qu’elle était toujours amoureuse de cet homme.
— Il m’apportait des livres d’amour décorés des plus belles enluminures, me parlait d’Ibérie, d’Alexandrie, de tous les endroits où je rêvais d’aller, il m’apprenait des secrets sur les hauts dignitaires qui m’entouraient.
Les cils de Maria battirent comme si ce qu’elle avait sous les yeux l’éblouissait soudain.
— Peu après, Constantin mourut et les circonstances firent que Zoé et Théodora s’éloignèrent encore davantage de moi au moment où je devenais justement une femme. Mes règles s’étaient mises à couler, ma poitrine innocente gonflait. Enivrée par le vin de cette première féminité, je commençai à rechercher l’amour entre les hommes et les femmes. Et, bien entendu, je me fixai sur l’objet le plus immédiat de mon désir. Au début, cela nous gêna tous les deux, mais je sentis presque aussitôt que cela me donnait un pouvoir que je n’avais pas soupçonné jusqu’alors, bien que l’on m’eût toujours répété que j’étais une belle enfant. Ce fut graduel, aussi délicat que la pluie naissant lentement d’un brouillard, mais notre relation cessa d’être celle d’un père et d’une fille et… nous sommes devenus comme mari et femme, dit-elle en frottant la soie de son scaramangium sur ses genoux.
Puis elle se leva brusquement, croisa les bras sous sa poitrine et fit quelques pas en frappant du pied, les yeux baissés vers l’herbe.
— En toute sincérité, je ne me rappelle plus guère ce que fut cet amour. Cela date de si longtemps. Je n’en garde que le souvenir d’une sorte de nuage d’argent, d’une innocence qui me paraît aujourd’hui incroyable. Mais nous nous prenions l’un dans les bras de l’autre et nous faisions l’amour comme mari et femme, du moins le pensais-je, et je nous croyais vraiment liés par un serment. Je le suppliais de m’épouser avant que ce péché ne profane mon âme. Mais il ne cessait de repousser à plus tard, prétextant mon âge.
Les iris bleus de Maria commencèrent à s’animer.
— Apparemment, j’étais assez âgée pour que ses bras enveloppent mes reins nus mais pas assez pour qu’une ceinture de mariage m’entoure la taille. Dans mon innocence, j’attendis. Puis un beau jour j’appris la raison de mon attente. Je m’en souviens comme si c’était hier. Une catin, qui traînait à la cour dans l’attente du premier dignitaire venu à qui il prendrait envie de la grimper, se
Weitere Kostenlose Bücher