Byzance
pas que dans toute cette affaire, on sent la main de Joannès.
— Oui, c’est la clé de tout, mon oncle, répondit Michel en se tirant l’oreille d’un air songeur. Envisageons trois cas. Numéro un, Joannès a trouvé la lettre et connaît le secret. Numéro deux, Joannès a cherché la lettre mais ne l’a pas trouvée. Numéro trois, Joannès ne sait rien de cette lettre et a refusé de renouveler le typicon pour une autre raison.
Constantin acquiesça d’un signe de tête.
— Deux chances sur trois, mon oncle, constituent une base très séduisante pour un parieur expérimenté. Je crois que nous devrions envoyer quelqu’un en Cappadoce pour rechercher ce chartophylax – ou les affaires qu’il a laissées s’il est vraiment mort, ce qui paraît probable – et nous rapporter cette lettre.
— Nous ne pouvons confier un… trésor pareil à personne.
Michel parut s’effondrer.
— Je n’y avais pas pensé. Le pauvre Ergodotès a été la seule victime de mon complot contre Joannès.
Constantin s’avança vers lui et posa la main sur son épaule.
— Bien entendu, il y a quelqu’un à qui nous pouvons faire tous les deux confiance. Dans Sa bonté, le Pantocrator vous a accordé un oncle qui connaît assez bien la région. L’ancien stratège d’un thème voisin.
— Mais enfin, mon oncle, vous n’y songez pas ! s’écria Michel. Avec cette chaleur ? Non. Et la perspective de ne pas vous avoir près de moi pendant des mois, sans parler de… Je ne le permettrai pas.
— Mon neveu, vous avez parcouru vous-même presque tout le chemin. Les grottes de ces ermites ne sont qu’à trois jours de Césarée Mazaca. Je trouverai sûrement une caravane à laquelle me joindre d’ici une quinzaine de jours et j’arriverai en Cappadoce début septembre. Vous me reverrez avant décembre.
— Mon oncle, soyez béni, s’écria Michel, et des larmes de gratitude lui montèrent aux yeux. J’espère seulement qu’à votre retour je serai encore ici pour vous accueillir.
Quand Maria s’éveilla, la lumière éclatante du début de septembre entrait à flots dans sa chambre. La brise du matin, déjà torride, agitait les rideaux. L’arcade de son balcon formait un mur d’or. Elle avait encore rêvé : des coups de tonnerre fracassants, un ciel de verre, une mer en flammes, sa propre mort. « Les rêves sont ce que je crains, non ce qui sera, se dit-elle, j’en ai la preuve. Ce qui sera, c’est aujourd’hui. Je le verrai, je passerai des heures avec lui. Suffisamment de temps pour battre en brèche ce mur qui nous sépare encore, si proches que nous soyons devenus depuis quelques mois. Aujourd’hui, il partagera avec moi le secret qui pèse sur son âme. »
On frappa à la porte et Maria se redressa. Son chambellan entra, précédant Maria Diaconos, fille du patricien et sénateur Alexios Diaconos et nouvelle dame de compagnie de Maria ; comme elles avaient le même prénom, Maria l’appelait Petite Maria. Petite Maria, quatorze ans, blonde, aussi souple qu’un roseau, semblait bien trop jeune pour caracoler à cour ; mais de toute évidence ses parents étaient impatients de mettre son innocence à l’encan dans l’intérêt de leurs ambitions. Maria avait résolu de veiller sur elle.
— Je n’ai pas pu dormir, babilla Petite Maria de sa voix de gamine. Je me suis levée avant le soleil. J’ai du mal à croire que cette journée est enfin venue.
Elle se dirigea vers le portique et parcourut des yeux les dômes du Palais et le Bosphore, au-delà.
— Il paraît qu’il y aura des danseurs, un mimodrame, un illusionniste, des acrobates et des animaux. Des femmes pourront participer à une chasse, lança-t-elle sans reprendre son souffle. Vous croyez que nous pourrons danser ?
— Si l’impératrice décide que nous pourrons danser, nous danserons.
— Avec des hommes ?
— Peut-être. Si vous vous montrez très gentille, on vous accordera la permission de danser avec des hommes.
— Et vous danserez avec l’hétaïrarque ? lança Petite Maria avec un sourire en coin.
— Comment savez-vous s’il viendra ?
— J’ai posé la question.
— Vous savez qui d’autre viendra ?
— Le prince sarrasin qui veut devenir calife d’Egypte. Et il paraît, ajouta-t-elle en baissant la voix, que l’empereur fera même peut-être une apparition.
Maria en doutait mais n’avait pas envie de gâcher le plaisir de la fillette. C’était déjà beaucoup
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