Byzance
étroit qui traite maintenant d’apostat et de fidèle de Satan un amateur de courses comme moi.
— Ce qui est remarquable, répondit Constantin, c’est que le père abbé Giorgios ne semble pas désespérer de la nature humaine.
— Oui, le père abbé se montre remarquablement magnanime tant que la nature humaine lui offre des revêtements de marbre pour les cellules de ses cénobites et des icônes d’or et de rubis pour son trésor personnel. Je peux vous dire une chose, mon oncle, si jamais… Si jamais il m’arrive de… Oui, tout ces pompeux dignitaires croiront que la trompette du Jugement vient de sonner.
Il souleva la pile de documents et la lâcha au-dessus de la table où elle tomba avec un bruit sourd.
— Ça suffit. Passons en revue ce que nous avons.
Constantin posa la liasse de parchemins et observa Michel attentivement. Extraordinaire, ce dont ce jeune homme était capable quand il se fixait lui-même un but. Michel avait tout de suite découvert le système de classement du père abbé Giorgios, puis il avait déchiffré le système assez mystérieux du chartophylax et regroupé tous les documents. En deux semaines, il connaissait et l’identité et les malheurs de chacun des nombreux correspondants haut placés du père abbé (il avait évidemment très vite identifié et écarté l’énorme quantité de correspondance purement érudite et religieuse).
Michel posa les mains sur deux piles.
— D’un côté, les hauts dignitaires impériaux vivants qui connaîtraient un immense… embarras si le contenu de ces lettres était révélé.
Michel souleva alors la main posée sur l’autre tas, plus conséquent.
— Et ces documents se rapportent à des individus décédés dont les familles occupent encore des positions de responsabilité.
Il marqua un temps, pour bien profiter de cet instant de pouvoir latent.
— Nous ne nous en servirons qu’en dernier ressort, ou pour nous protéger si les circonstances se retournent contre nous. Je pense que ce genre d’extorsion est un sport assez limité.
Avec une belle assurance toute nouvelle, Michel passa à un tas plus petit, contenant environ une douzaine de lettres sur lesquelles il posa les deux mains.
— Ici, mon oncle, se trouvent toutes les conditions d’un pari de premier ordre, dit-il en feuilletant les parchemins. L’histoire parle d’elle-même, n’est-ce pas ? Eudoxie née dans la pourpre, la défunte sœur de notre impératrice actuelle, Zoé, et de l’augusta Théodora, s’est entichée d’un jeune courtisan. À ce propos, mon oncle, il paraît qu’Eudoxie était une horreur, le visage tavelé de je ne sais quelle vérole. Elle s’est donc entichée de ce jeune galant et lui a laissé faire son affaire. La semence porte fruit, elle l’avoue à son père, et voici que le jeune homme prend la tonsure de moine et disparaît mystérieusement dans un monastère de Syrie. Elle-même se rend au couvent de Prote, met son bâtard au monde, et l’identité de cet enfant au sang bleu – en fait, on pourrait dire au sang pourpre – n’est connue que du père abbé Giorgios. Eudoxie abandonne l’enfant et passe le reste de ses années douloureusement brèves dans un couvent encore plus éloigné. L’empereur Constantin meurt, le père de l’enfant aussi ; nous connaissons même la date de sa mort. Tout est là, le récit d’un secret magnifiquement enterré.
Michel choisit deux lettres de la liasse.
— Dans celle-ci, Eudoxie remercie le père abbé d’avoir organisé la mise au monde en secret de son enfant et promet à son confesseur un nouvel autel d’or. Quant à celle-là, elle exprime la profonde gratitude de cette malheureuse après son entrée dans un autre couvent, et promet bien entendu cent solidi pour l’achat de manuscrits reliés. Ces deux lettres portent les codes de classification du père abbé et du chartophylax. D’après leurs systèmes de notation, une lettre manque, la lettre écrite entre les deux. Je suis prêt à parier, mon oncle, que cette lettre décrit la façon dont on s’est occupé de l’enfant.
— Oui, répondit Constantin en se levant pour arpenter la pièce. Et comme le code de classement du chartophylax se trouve sur les deux lettres, nous pouvons en déduire qu’il s’est trouvé en possession de ce précieux secret.
— Est-il possible que le chartophylax ait tué le père Katalakon en vue de préserver le secret ?
— Possible. Mais n’oubliez
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