Byzance
possède encore sans l’appui d’un empire ? C’est la conquête qui produit la richesse. Et la puissance ne saurait se conquérir dans les grandes demeures de la Mésé, parmi les jardins du Palais impérial, ou même sous le dôme d’or de Sainte-Sophie. C’est au bout du monde qu’elle attend !
La passion de Joannès déconcerta Haraldr. En dépit de son autorité absolue et de son omniscience, Joannès lui avait toujours paru fondamentalement limité, un grand commis très efficace mais sans plus. Découvrir qu’il avait une vision du destin de Rome était troublant ; comme si un animal s’avérait soudain capable de raison humaine.
— Oui, reconnut Haraldr. Tout homme du Nord en convient volontiers. C’est au bout de la terre que l’on conquiert la fortune et la puissance. Si nous n’en étions pas persuadés, je serais probablement un paysan ignorant en train de rêver du coin de terre au-delà de la colline voisine, en priant les dieux que personne ne vienne à bord de bateaux rapides incendier mes récoltes et voler ma femme. Si nous n’étions pas prêts à nous rendre jusqu’au bout de la terre dans nos bateaux sans pont, nos terres ne parviendraient même pas à nous nourrir. Mais un homme du Nord ne part pas en viking sans penser à la famille et aux compagnons qu’il laisse derrière lui. Pour un homme du Nord, ce serait une honte de gagner de l’or dans un pays lointain et de revenir ensuite dans un village où même un seul homme vivrait aussi misérablement que les milliers d’habitants du Stoudion.
Joannès étudia le visage pensif de Haraldr.
— J’ai besoin de vous, hétaïrarque Haraldr. Je vous l’ai déjà avoué. Je ne vous demande pas de me faire confiance. Je vous demande seulement de ne pas me condamner tant que vous n’en saurez pas davantage sur ma politique. Laissez-moi vous offrir un geste de bonne foi – à vous et à tous les malheureux dont les plaintes ne sont pas sans m’émouvoir. Il n’y a rien ici à leur donner, lança-t-il en montrant de sa chandelle les caves entièrement vides. Je possède cependant quelques ressources personnelles, acquises par un travail incessant associé à une frugalité de tous les instants. Sur mes propres ressources, je construirai un hôpital de charité au Stoudion, le plus vaste et le plus beau que le monde ait jamais vu. Je ne vous demande rien en retour, sauf d’attendre pour me juger que vous en sachiez plus long sur Rome et sur mes politiques. À ce moment-là, si nous sommes encore ennemis, je vous considérerai comme un adversaire digne de moi.
— Et je vous considérerai digne d’être détruit par ma main, orphanotrophe. La prochaine fois que nous parlerons, j’espère entendre des nouvelles de la construction de cet hôpital.
Joannès acquiesça, et les plis profonds de son visage semblèrent exprimer davantage de lassitude que de méchanceté.
— Un monastère ! Mon oncle, vous savez que ce simple mot est anathème pour moi ! Regardez, mes mains en tremblent ! lança Michel Kalaphatès en tendant les mains, et le bel arabe pommelé qu’il examinait hennit comme pour confirmer la déclaration de son maître. Zut, j’ai troublé Phaéton. Et je me suis emporté contre vous, mon cher oncle, continua-t-il en se retournant pour caresser le cheval. En fait, je suis sûr que votre décision était judicieuse. Mais à chaque semaine qui passe, j’ai l’impression d’épuiser le temps qui m’est alloué dans le monde des… des plaisirs.
— Faites-moi confiance, mon neveu. N’oubliez pas que j’ai gouverné la deuxième ville du monde et les affaires d’un thème immense et prospère. Je suis capable de tirer des bénéfices de la vente de ce monastère. Et de toute manière je n’exige aucune contribution de votre bourse. J’ai déjà réuni tous les solidi nécessaires et réglé l’ancien propriétaire.
— Vous pensez vraiment que votre achat va mettre Joannès en rage ?
— Pas seulement en rage, mon neveu.
Constantin lui décrivit les lettres du père abbé Giorgios, et Michel l’écouta avec tant de passion qu’il repoussa même le museau de Phaéton lorsque le cheval voulut se frotter à lui. Quand Constantin se tut, Michel l’embrassa.
— Oh ! mon oncle, pour la première fois depuis que notre empereur est revenu des morts, j’ai retrouvé l’espoir ! Quand pourrons-nous voir ces épîtres du père abbé Giorgios que nous envoient les anges ?
— J’ai
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