Byzance
Les moines étaient en train de creuser une autre salle dans la pierre, et la poussière brûlante montait aux narines. Constantin appuya son turban contre son nez et sa bouche et franchit le seuil bas.
À travers le voile de poussière rougeâtre, il aperçut les moines torse nu qui frappaient sur des ciseaux à froid avec de lourdes masses, comme autant de mécréants condamnés à l’enfer. L’un d’eux finissait à la lime la surface d’une colonne que les autres avaient taillée dans le roc.
— Que puis-je pour vous, mon frère ? lança l’un des moines à travers le vacarme.
Il était aussi puissant qu’un lutteur, et de la sueur jaunie par le grès perlait sur tout son visage et sa barbe. Il fit signe à l’un des frères d’offrir à boire à Constantin. Le moine qui apporta la cruche d’argile avait des yeux sombres, furieux. Un bout de tissu tendu au milieu de son visage recouvrait l’endroit où aurait dû se trouver son nez. Constantin fit comme s’il n’avait rien vu et avala à la hâte le contenu de la louche de bois que l’homme lui tendait.
— L’œuvre de Dieu n’a pas de cesse ! hurla le moine au-dessus du vacarme assourdissant. Je ne fermerai pas les yeux dans le sommeil, ni les paupières en somnolence, tant que je n’aurai pas trouvé un sanctuaire pour le Seigneur, une demeure pour le Dieu de Jacob, tonna-t-il, citant les psaumes.
— Je cherche un chartophylax qui était autrefois à Prote, cria le visiteur dans l’oreille luisante de sueur du moine. Il a dû arriver ici il y a cinq ou six ans.
Les yeux du moine brillèrent pendant un instant, et il fit signe à ses frères de cesser de cogner. Mais sa réponse fut décevante :
— Un chartophylax de Prote ?
Il secoua la tête et s’essuya le front. Constantin remarqua cependant que les autres moines avaient l’air de savoir quelque chose. Les yeux de celui qui n’avait pas de nez se détournèrent comme pour fuir son regard.
— Nous avons des archives qui remontent à l’époque de Grégoire de Nysse. Vous pouvez les consulter si ça vous fait plaisir.
Il fit signe au moine sans nez de montrer le chemin à Constantin. Le moine alluma une chandelle et entraîna le visiteur dans une série de galeries étroites, puis lui fit monter un escalier creusé dans le roc jusqu’à une pièce qu’éclairaient assez bien deux petites fenêtres carrées. Constantin soupira. Il n’y avait dans ce scriptorium creusé dans le rocher qu’une seule table-écritoire, et elle était couverte de poussière. Apparemment, les moines s’intéressaient plus au travail de la pierre qu’à celui du parchemin. Les étagères étaient garnies de liasses poussiéreuses, certaines dans d’anciens étuis de bois. Il en aurait jusque très tard dans la nuit après une journée déjà épuisante. Mais quelque chose lui disait qu’il était important qu’il commence.
* *
*
— S’il glisse, dit Zoé en se penchant de son trône doré pour montrer l’acrobate en train de faire un numéro sur une perche en équilibre au milieu de la table, s’il glisse, dame Manganès aura un homme presque nu dans son assiette.
— Oui, dit Maria, je me demande si elle réclamera qu’on verse dessus de la sauce.
Zoé éclata de rire et souleva son verre de vin. Le chagrin que lui causait l’éloignement prolongé de son mari avait dessiné des ombres hantées autour de ses yeux bleus. De toute évidence, elle avait espéré que l’empereur viendrait lui faire la surprise de sa présence. Malgré la façon cruelle dont l’amour l’avait traitée, elle n’en voulait pas à Maria et à Haraldr de leurs longs regards adorateurs. Au contraire, elle avait joué le gracieux messager d’Aphrodite ; elle avait même réduit au silence les voukaloï et les orgues pour offrir un toast à l’amour, allusion manifeste au couple assis à ses côtés.
— Ma foi, dit Zoé d’un ton joyeux qui dissimulait mal une pointe de déception, je leur ai offert assez de poitrines et de fesses nues d’acrobates pour représenter les quarante martyrs de Sébaste (les martyrs en question avaient été forcés de se déshabiller dans les neiges de Rus jusqu’à ce qu’ils en meurent), je leur ai montré les derniers animaux de l’Indus, ils ont eu droit à des chorales harmonieuses, et la pantomime représentant la liaison d’Ariane et de Thésée a été si explicite que je crois que dame Attaliétès en a fendu son scaramangium sous le coup de
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