Byzance
grands feux, et une étoile qui scintilla au-dessus de la scène pendant un temps qui parut très long, en détruisant tout ce qui paraissait au-dessous d’elle.
Enfin, la scène se vida de nouveau et Abélas apparut, tout seul. Il tendit la main vers les lumières qui tournoyaient et se mit à décrire la Nouvelle Jérusalem. Ses bras et ses mains semblaient tisser une image pareille à une tapisserie : portes de perles et rues d’or translucides. La foule regardait, bouche bée, comme si les mains de cet homme construisaient vraiment cette ville merveilleuse sous leurs yeux. Haraldr ne vit que les anneaux brillants d’Abélas. Puis Abélas psalmodia :
— Je suis l’Alpha et l’Oméga.
Haraldr cessa de pouvoir chasser de ses yeux le feu entre les mains d’Abélas ; la flamme augmenta, forma un vaste globe d’or scintillant qui parut avaler toute la cour. Autour de lui, le public poussa un cri d’admiration et Haraldr comprit que tous partageaient cette vision. La lumière à l’intérieur du globe devint étincelante, presque aveuglante, et Haraldr se rappela ce qu’Abélas lui avait chuchoté. Non pas ce qu’il avait entendu, mais les paroles chuchotées pendant qu’il n’avait pas conscience d’entendre. « Cherchez le dragon », avait dit la voix. Un point obscur, pareil à une étoile noire sur un ciel d’or, augmenta jusqu’à ce que ses énormes ailes s’étendent au-dessus du globe de lumière, semblable à un dôme d’obsidienne. Haraldr sentit le vent froid de la fin, et la lumière brillante disparut.
Haraldr secoua la tête. La vision s’estompa dans la réalité des tables éclairées aux chandelles et des dignitaires parés de soie. Où était-il allé ? Abélas l’avait-il plongé en transe depuis l’instant où leurs regards s’étaient croisés ? La scène était complètement sombre et Abélas avait disparu. La foule, passionnée, s’extasiait sur les merveilles que l’illusionniste venait de montrer. Les maris relevaient les femmes qui s’étaient évanouies ; deux hommes étaient sur le point de se battre pour une raison quelconque, mais la plupart restaient immobiles, encore sous le choc de l’hypnose. Puis Haraldr s’aperçut que Maria pleurait.
* *
*
Constantin se frotta les yeux. La lampe à huile lançait des ombres fantomatiques sur les murs de rocher du scriptorium ; s’il avait été de caractère craintif, il aurait sans doute commencé à voir des démons ramper autour de lui. En fait, les démons étaient les doutes qui commençaient à ramper dans son esprit. Il referma le volume d’archives qu’il venait de terminer ; une volute de poussière s’éleva des couvertures de bois, pareille à un petit djinn. Il parcourut les étagères des yeux, espérant contre tout espoir qu’il avait oublié un volume. Non, il les avait tous parcourus et n’avait rien trouvé. Il se demanda quelle heure il était et où il se rendrait au matin. Cette chapelle semblait pourtant pleine de promesses : les regards des moines dans l’après-midi, la réaction du moine sans nez. Ils avaient certainement entendu parler du chartophylax de Prote, mais leurs archives n’en gardaient aucune trace. C’était pourtant le bon endroit. Peut-être pourrait-il engager des soldats à Césarée, puis revenir et exiger la collaboration des moines. Peut-être pourrait-il obtenir un prêt pour payer des mercenaires. Soudain, les ombres l’inquiétèrent davantage. Si les frères avaient menti, il n’était pas en sécurité ici. Il se rappela avec un frisson dans le dos qu’il avait laissé sa mule entravée à l’échelle pendant tout ce temps.
Vaguement inquiet, il se glissa dans les galeries sombres. Il parvint bientôt dans un cul-de-sac et crut pendant un instant que la panique allait s’emparer de lui. Des tombes. Il détestait se trouver ainsi au creux d’un rocher. Il parvint à la chapelle et le grognement le fit sursauter. Pas un grognement, un ronflement. Les moines dormaient avant que le sanctuaire du Seigneur soit terminé, mais ils dormaient à côté de leur chantier. Constantin se glissa dehors, posa la lampe sur la plate-forme et descendit l’échelle avec précaution dans ce qui semblait un puits de ténèbres. Quand il parvint à la base du cône de pierre, il leva les yeux vers la lumière posée sur le balcon de rocher au-dessus de lui et décida qu’il valait mieux remonter et prendre le risque de descendre avec la lampe ; sinon il était
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