Byzance
extraordinaire.
Constantin s’essuya la bouche avec une serviette empesée.
— Nous devons procéder avec des précautions extrêmes, mon neveu. Il faut que je retourne à mon bureau du Palais et que je réfléchisse au choix de celui qui, le premier, devra entrer dans notre petite cabale. C’est extrêmement important. Cela revient pour ainsi dire à nommer votre Premier ministre. N’oubliez pas, la plus extrême prudence sera essentielle à votre succès. Rome est comme un cheval, ou disons comme un attelage de quatre chevaux – il faut qu’ils s’habituent à la main qui tient les rênes. Si un nouveau conducteur désire faire courir ce quadrige, il doit d’abord se tenir auprès de l’ancien conducteur et observer sa technique pour manœuvrer les bêtes – ses façons de faire particulières, la manière dont il utilise le fouet – avant de tenter de saisir les rênes ou le fouet en ses propres mains.
— N’ayez crainte, mon oncle, je comprends très bien l’utilité temporaire de Joannès dans notre plan. Je crois sincèrement qu’il y a beaucoup à apprendre à l’observer. Il sait certainement manier le fouet avec efficacité. Mais il a tort, je pense, de ne jamais accorder à l’animal une léchée de sel, un mot aimable ou une caresse sur l’encolure. Ces choses-là sont nécessaires pour que le quadrige aille plus vite.
— Bien dit, mon neveu. Mais je crois que Joannès est en train de s’en rendre compte. J’ai entendu dire que son hôpital du Stoudion reçoit les miséreux.
— Oui, on m’a assuré qu’il a réuni une vaste foule aujourd’hui malgré le mauvais temps. Il a même présenté à la racaille son héros, notre ami l’hétaïrarque.
Michel s’interrompit brusquement à l’entrée de son chambellan dans la pièce, et fixa d’un œil dur le visage blême de l’eunuque.
— Que se passe-t-il ?
Le komès des Khazars de la Garde impériale entra dans la pièce dans un cliquetis d’armure, et ses bottes trempées grincèrent sur le marbre. Il s’inclina.
— Je suis désolé de vous déranger, Majesté, dit-il à Michel, mais l’empereur vous convoque au Palais. Il a fourni une escorte pour que votre départ soit immédiat. Votre oncle doit vous accompagner.
Le komès s’avança pour présenter le document de couleur pourpre. Michel se leva et prit le parchemin comme un homme s’avance dans son propre cauchemar. Ses mains tremblèrent et son visage prit la couleur de la chaux.
— Que Dieu nous sauve, mon oncle, murmura-t-il. Notre chance a déjà tourné.
* *
*
— Qu’est-ce que c’est ? murmura Maria d’une voix endormie.
Haraldr se redressa et tendit l’oreille. Une porte se referma en bas et il entendit des pas sonores dans les corridors.
— Un de mes hommes, dit Haraldr. Bon Dieu, j’espère qu’on n’a pas besoin de ma présence au Palais.
— Je l’espère aussi, répondit Maria en lui prenant la taille. C’est déjà assez triste de se dire adieu aux premiers feux de l’aurore. Mais à cette heure de la nuit…
Le chambellan frappa à la porte de l’antichambre et Haraldr lui ordonna d’entrer. La lumière de la lampe à huile éclaira l’arcade qui séparait les deux pièces.
— Qu’y a-t-il, Jean ? demanda Haraldr.
Ce fut la voix d’Ulfr qui répondit.
— Haraldr, je suis désolé, mais l’empereur a demandé vos services. Il veut être escorté au monastère des Anargyroï.
— Quoi ? chuchota Maria à Haraldr. Je croyais qu’il passait de moins en moins de temps avec ses saints hommes. Partir à cette heure-ci, par ce temps… Il va tomber de nouveau malade.
— Je crois que c’est le jour que nous attendions, répondit Haraldr. L’empereur se rend au monastère pour implorer le pardon des saints avant d’entrer de nouveau dans la chambre de son épouse.
Il embrassa Maria et s’élança du lit, soudain impatient de plonger dans l’aube froide et humide.
* *
*
— Je n’ai pas envie d’autres pâtisseries et je ne me soucie pas de votre vin ! cria Michel Kalaphatès. Je suis le césar et j’exige de savoir pourquoi j’ai été convoqué ici au nom de l’empereur. Je n’ai pas passé la moitié de cette méchante nuit dehors pour être accueilli par des chambellans et me voir offrir des petits gâteaux et du vin. J’exige de savoir quand Sa Majesté me recevra. Voici trois heures que mon oncle et moi attendons. Nous ne sommes pas venus ici pour grignoter des biscuits et
Weitere Kostenlose Bücher