Byzance
contraints à recourir à une phlébotomie comme celle que mon collègue est en train de pratiquer sous vos yeux.
L’hôpital se composait de six immenses salles d’une centaine de lits ; il disposait également d’une boulangerie, de bains, d’une cuisine et d’un laboratoire de chimie pour la fabrication de potions et de baumes. Il y avait même un atelier où l’on montra aux dignitaires une meule ingénieusement fixée à un tour pour affûter méticuleusement les lames des instruments chirurgicaux. Joannès se tourna vers Haraldr et lui murmura :
— Je commence à comprendre votre sagesse d’homme du Nord, hétaïrarque. Ces lames, dit-il en montrant les rangées de bistouris sur l’établi de l’affûteur, feront davantage pour assurer la paix et la stabilité du Stoudion que les lames dont je me suis servi au Néorion.
— J’aimerais croire que vous avez vraiment appris cette leçon, orphanotrophe, répliqua Haraldr à mi-voix. Cela m’épargnerait l’effort d’affûter le tranchant de mon épée.
Le regard de Joannès ne quitta pas les scalpels au tranchant parfait, mais il fit signe qu’il comprenait.
* *
*
— Il faut profiter de tout ceci tant que vous le pouvez, s’écria Maria, en lui éclaboussant joyeusement le visage d’eau fraîche. Il n’est pas pensable qu’un homme prenne son bain avec son épouse.
— C’est peut-être votre coutume. Mais j’obligerai la reine de Norvège à s’asseoir avec moi dans le sauna jusqu’à ce qu’elle soit rouge comme une écrevisse, puis je l’entraînerai dehors et je l’enduirai de neige moi-même.
— Je n’ai nulle envie de scandaliser votre peuple.
Haraldr attira vers lui son corps qui flottait, presque sans poids, et sentit la soie brûlante de ses seins s’étaler sur sa peau comme une huile précieuse.
— Il suffit qu’un homme vous épouse, et vous voici soudain devenue pimbêche et collet monté comme dame Attaliétès.
Maria se releva au-dessus de lui comme une nymphe, et ses seins humides scintillèrent dans la lumière.
— Avez-vous imaginé que vous faisiez l’amour à Théophano Attaliétès la nuit dernière ? Je me soucie seulement que mes enfants n’aient pas une mère de mauvaise réputation.
Haraldr l’embrassa et imagina les rois qu’elle lui donnerait. Des rois de Norvège farouches et puissants, emplis de la passion de gouverner et d’intelligence pour arbitrer. Des rois qui uniraient les forces de la Norvège à celles de Rome, et régneraient peut-être un jour sur les deux.
— Votre enthousiasme à la dernière contribution de Joannès au bien-être des sujets de son frère m’inquiète beaucoup, dit Maria en posant le bras autour des épaules de Haraldr. Il a déjà construit plusieurs de ces hôpitaux, généralement en obligeant tel ou tel dignitaire à les financer, et il finit toujours par s’approprier le capital nécessaire à leur fonctionnement pour ses propres coffres, tandis que l’institution décline rapidement en un hospice puant, ou même en un bordel.
— Oui, mais c’était toujours dans des quartiers d’artisans et de commerçants où le besoin de soins médicaux n’était pas si urgent. Croyez-moi, ma petite lumière, je ne me fais aucune illusion sur le caractère de l’orphanotrophe. Mais maintenant qu’il a tendu les bras au peuple du Stoudion, le peuple ne lui permettra pas de retirer ses bras si facilement. Et je crois que l’empereur est en assez bonne forme pour imposer sa propre marque aux affaires de l’empire. Joannès va se retrouver bientôt coincé par en haut et par en bas, il devra faire des concessions plus radicales. Si on peut le contraindre à sauver des vies et à offrir de l’espoir, n’est-ce pas de beaucoup préférable à la perte de vies qui se produirait si je devais l’attaquer ? Peut-être suis-je en train de devenir trop romain, mais ne peut-on parfois exécuter une plus grande vengeance simplement par la menace de la vengeance ?
Maria laissa son corps dériver pour se trouver face à Haraldr et poser l’autre bras autour de lui.
— Ne supposez surtout pas que vous avez appris à penser à la façon des Romains. Ce serait dangereux pour vous. Jamais vous ne comprendrez les couches profondes de notre esprit. En tout cas je l’espère. Je ne partagerai votre optimisme que le jour où l’empereur se rendra aux côtés de l’épouse qui lui a conféré le pouvoir qu’il détient – et donc le pouvoir que
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