Byzance
entraîné avec les hommes de la Grande Hétaïrie deux jours plus tôt, et il retrouverait sans doute bientôt la couche de son épouse. Peut-être l’empereur pourrait-il donner à la vision de Joannès la profondeur dont elle manquait. Peut-être Joannès serait-il forcé, par l’élan même de gestes comme celui-ci, de modifier sa politique. Un homme pouvait se laisser prendre au piège de ses bonnes actions aussi facilement que de ses péchés. Haraldr avait lui aussi ses rêves : pouvoir quitter Rome sans le bain de sang qui suivrait le Jugement Dernier de l’orphanotrophe Joannès.
— Votre hétaïrarque ! lança Joannès.
La foule, prise de délire, se mit à scander « Hétaïrarque ! Hétaïrarque ! Hétaïrarque ! » en agitant les bras.
— Je déteste les cérémonies, dit Joannès d’un ton amer tandis que les acclamations s’estompaient, sinon j’aurais organisé quelque chose. Mais il semble que l’apparition de l’hétaïrarque leur suffise amplement. Il faut que vous visitiez l’hôpital, ajouta-t-il en entraînant Haraldr. Je confesse volontiers un certain orgueil coupable à son sujet. C’est une merveille. Aucun aspect de l’art médical n’a été laissé de côté, aucun confort pour les malades n’a été négligé.
À son entrée dans l’hôpital, suivi du cortège obligatoire de sénateurs qui traînaient derrière ses talons comme des chiens fouettés, Joannès fut accueilli par l’équipe de médecins, qui comprenait une demi-douzaine de femmes en robe longue de toile. De la main, il montra le corridor voûté qui s’étendait sur sa gauche.
— Les impératifs de la pudeur nous empêchent de visiter les salles réservées aux femmes. Mais je vous assure qu’elles sont aussi bien équipées en matériel et en personnel que celles des hommes. Inutile de le dire, nos femmes médecins sont d’un grand réconfort pour les malades de leur sexe, car elles permettent à nos femmes souffrantes de discuter librement de leurs symptômes particuliers et de se soumettre aux examens sans exposer leurs organes et leur délicatesse au sexe opposé.
En entendant Joannès se soucier ainsi de la délicatesse féminine, Haraldr eut envie d’éclater de rire : on ne faisait aucune distinction de sexe dans la prison du Néorion. Mais il avait compris depuis longtemps que Rome était un empire construit sur le fait qu’on disait une chose et en faisait une autre.
« C’est également un empire construit sur une somme stupéfiante de connaissances », se dit Haraldr quand le médecin-chef les conduisit de salle en salle. Les lits – tous occupés – avaient des matelas de toile propre et des oreillers garnis de laine, non de paille ; il y avait des descentes de lit propres sur le parquet balayé. Chaque malade disposait de couvertures, et un système d ’hypocaustes pareils à ceux du Palais faisait circuler de l’air chaud sous le sol, ce qui dégageait une chaleur sèche et propre. Le médecin-chef expliqua que les diverses salles étaient maintenues à des températures différentes en fonction des maladies et des humeurs qui contribuaient aux symptômes.
Le cortège de Joannès s’arrêta près du lit d’un homme dont le visage était aussi jaune que de la soie de Syrie. Le médecin-chef fit remarquer les accessoires de toilette que l’on avait fournis à l’homme, comme à tous les autres malades : une éponge personnelle, une cuvette, des serviettes et du savon, rangés en bon ordre près du lit ; au pied du lit se trouvait un pot de chambre. Un assistant apporta au médecin-chef une bassine de cuivre pleine d’eau bouillante, et le médecin-chef se savonna les mains avec soin, les rinça et les essuya dans une serviette propre. Ensuite, il écarta la couverture piquée, souleva la robe de l’homme au visage jaune, et appuya sur son ventre de ses longs doigts habiles. Il se tourna vers le groupe qui l’entourait.
— Les humeurs n’ont pas encore été évacuées, dit-il. Comme elles risquent de se loger dans le corps et d’être transportées au cœur, je demanderai à l’apothicaire de prescrire un purgatif.
Il se releva et montra un malade à la peau blême, endormi deux lits plus loin ; un autre médecin tenait le coude du malade au-dessus d’un petit bol de cuivre et recueillait le sang qui coulait d’une incision juste à l’intérieur du creux du bras.
— Si les purgatifs ne provoquent pas l’évacuation, nous serons
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