Byzance
siroter des liqueurs en attendant le chant du coq !
Michel se leva et lança un regard noir au chambellan tremblant, certain que son éclat avait convaincu celui-ci de l’importance de sa dignité impériale insultée. Le chambellan s’inclina et battit en retraite, les bras croisés sur la poitrine.
Constantin parcourut des yeux l’antichambre merveilleusement décorée : murs revêtus de marbre vert de Thessalie, candélabres d’argent, motifs complexes du sol. Il fit gonfler le coussin de soie écarlate sur lequel il était allongé, et caressa du doigt un gland d’or.
— Nous sommes dans le bâtiment des appartements impériaux, dit-il. Comme vous le savez, je n’y avais jamais été admis, mais j’ai eu le privilège de me familiariser avec la disposition des lieux. Apparemment, notre réception est dans la ligne des égards que mon frère impérial juge bon d’accorder à notre importance. Quand je pense qu’il n’a même pas eu la courtoisie de me recevoir depuis tout le temps que je suis ici…
— Ma foi, c’est tout de même préférable au Néorion, répondit Michel d’un ton faussement bravache. Quand ce chambellan pleurnichard réapparaîtra, je crois que je lui demanderai un peu plus de vin. Il est bien meilleur que celui… Ah !
Michel se retourna, mais ce n’était pas le chambellan. Le parakoimoménos aux cheveux d’argent entra dans la pièce et tomba à genoux devant le césar comme le prescrivait le protocole.
— Enfin, quelqu’un qui peut nous dire ce qui se passe ici, dit Constantin.
Le parakoimoménos se leva et s’inclina.
— Majesté, éminent seigneur. L’empereur a ordonné que vous soyez logés ici, dans les appartements impériaux, jusqu’au moment où il demandera de vous voir. Je vous prie de me faire appeler en personne si vous avez l’impression que l’on vous manque de courtoisie. Je vais demander maintenant au chambellan de vous conduire à vos chambres.
Le parakoimoménos s’inclina et sortit à reculons, selon la règle.
* *
*
La rénovation et l’agrandissement du monastère des Anargyroï étaient encore en cours ; un échafaudage de bois entourait l’aile occidentale en travaux et de vastes espaces de terre nue, le long des murs, attendaient les plantations de printemps. Le porche de réception était terminé et la litière aux rideaux tirés de l’empereur, portée par les robustes Khazars, s’arrêta sous les arches.
— Pourquoi ce secret ? chuchota Ulfr. Il n’y a presque personne debout en ville à cette heure pour le voir. Je suis certain qu’il n’a aucun assassin à craindre dans son peuple.
— Je crois que c’est par timidité, répondit Haraldr. Si ce qu’il vient chercher ici est bien ce que je crois. Il a mené une vie de saint depuis de longs mois et il songe à se livrer à des actes plus profanes.
Haraldr ne pouvait s’empêcher de songer, avec un mélange de plaisir et de culpabilité, à sa nuit avec l’impératrice. L’empereur ne tarderait pas à oublier ses saints hommes.
Le moine Cosmas Tzintzulucès interrogea l’hétaïrarque du regard. Haraldr lui fit signe d’aider l’empereur à descendre de sa litière. Haraldr aimait bien Tzintzulucès, sans toutefois le comprendre parfaitement. Le moine aimait sincèrement son empereur et sa piété ardente – et même extrême – était incontestablement sincère, ce qui n’était pas le cas de la plupart des moines présents à la cour. Haraldr éprouvait aussi une certaine sympathie pour ce moine frêle à l’œil triste, qui verrait bientôt son impérial novice succomber aux périls de la chair. D’une main qui tremblait, Tzintzulucès écarta le rideau.
Haraldr et Ulfr se prosternèrent. Quand ils se relevèrent ils se prirent par le bras en un réflexe désespéré. « Non ! Par tous les dieux, non ! J’ai déjà vu cet imposteur et ce n’est pas mon empereur. Par tous les dieux, non ! »
La peau boursouflée au-delà de toute ressemblance, l’empereur, autocrate et basileus des Romains, avait du mal à tenir debout. Seuls sa robe pourpre et son diadème impérial étincelant indiquaient qui il était. Haraldr se précipita pour l’aider et il sentit aussitôt une puanteur épouvantable de cadavre. Il ne vit les lumières de l’autel qu’à travers une brume de larmes, et il porta pratiquement dans ses bras le corps inerte, gonflé d’une façon grotesque. Tzintzulucès et les deux prêtres l’aidèrent à mettre
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