Byzance
que j’étais. Dites-lui que rien n’est sa faute… mais la mienne.
Haraldr lâcha la main de Michel et se releva. « Laissons-le mourir en paix, décida-t-il. Et laissons-la conserver la beauté de ses souvenirs. » Il se retourna et sortit.
Haraldr prit Zoé dans ses bras et lui murmura à l’oreille :
— Il a dit que rien n’était votre faute mais la sienne. Vous comprenez, il ne peut pas…
Zoé devint inerte, sa tête bascula en arrière et le cri terrible qu’elle poussa parut sortir de son cou plutôt que de sa bouche déformée. Haraldr posa la main sous sa nuque et lui redressa le visage.
— Essayez de comprendre. Souvenez-vous de l’homme que vous avez aimé.
Zoé s’effondra. Haraldr la confia aux bras de Halldor et rentra dans l’église.
Joannès était à genoux près de son frère, et son corps était secoué de sanglots. La tête de Michel gisait sur le côté, immobile. Le moine Cosmas Tzintzulucès se tourna vers Haraldr, et ses yeux sombres exprimèrent une joie ineffable.
— Frère Michel a été accepté dans les bras du Pantocrator, murmura le moine.
* *
*
L’arc-en-ciel des dignitaires de la cour impériale avait été remplacé par des robes de toile noire. Même le vaste dôme octogonal de la salle des Dix-Neuf Divans était assombri par un ciel de deuil qui martelait les lanterneaux de pluie froide. Un seul homme avait le privilège de porter un vêtement de couleur pendant cette cérémonie. L’empereur, allongé sur sa bière, était revêtu pour la dernière fois de la robe de pourpre et d’or de l’autocrate, avec le diadème impérial d’or et de perles sur la tête. Michel avait été exposé ainsi pendant trois jours, et dans le froid glacial de la salle, ses traits s’étaient figés en une effigie rose pâle de l’homme qui avait naguère exercé son hégémonie sur le monde entier. L’orphanotrophe Joannès était resté à genoux à côté de la bière, sans bouger, sans se nourrir, pendant trois jours entiers. Le patriarche Alexios fit le signe de croix au-dessus du corps et donna le signal au parakoimoménos. Le parakoimoménos souleva lentement son visage voilé, comme si la gravité de sa tâche avait changé sa tête en une statue de granit. Au-dessus d’eux, la pluie crépitait doucement sur les fenêtres et la grande salle parut soudain plus froide. La voix tonnante du parakoimoménos résonna dans le silence comme des coups de poignard glacés.
— Levez-vous, ô roi du monde, et obéissez à l’appel du roi des rois !
Les paroles du parakoimoménos s’élevèrent dans l’immense dôme et retombèrent juste au moment où il les répétait. Après la troisième répétition, on eut l’impression que le dôme allait s’ouvrir sous la violence de l’ordre retentissant.
Comme l’empereur l’avait souhaité, la procession jusqu’à sa dernière demeure dans l’église des Anargyroï fut très simple. Michel fut soulevé de sa bière comme le Christ l’avait été du calvaire, et porté en terre dans les bras de ceux qui l’aimaient et l’avaient servi. Haraldr se tenait entre l’orphanotrophe et le grand domestique Isaac Camytzès aux yeux d’acier. Le cadavre, vidé de ses humeurs, semblait si léger que Haraldr n’eut pas conscience de porter un fardeau.
Le peuple attendait le long de la Mésé, silencieux, trempé, mosaïque incolore de dizaines de milliers de visages pâlis, hébétés, se détachant sur la toile de fond de leurs robes et de leurs capes noires. Au passage, Haraldr sentit et entendit une sorte de grondement, comme le bruit d’une cascade de neige venant d’un pic lointain. Le chagrin paralysant de Joannès commençait à devenir vraiment dangereux. Pourquoi n’avait-il pas permis au césar de faire partie du cortège ? De toute évidence, le peuple qui était venu prendre congé de son empereur était troublé, et même furieux. Non sans raison. Qui allait les gouverner ? L’orphanotrophe se proposait-il maintenant de se faire couronner contre toutes les lois de l’État, de Dieu et de la nature ?
Cosmas Tzintzulucès attendait près du sarcophage de porphyre tout simple, à gauche de l’autel d’or de l’église des Anargyroï. De toutes leurs lumières, les candélabres proclamaient la résurrection. Les porteurs déposèrent le corps dans la crypte. Le parakoimoménos s’avança de nouveau et lança :
— Entrez, roi du monde, le roi des rois, le seigneur des seigneurs vous
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