Byzance
l’empereur sur ses genoux. Haraldr se redressa et recula. Joannès était à ses côtés. Des larmes tombaient de ses orbites profondes et glissaient sur ses joues.
— Saint Père, gémit Joannès d’une voix faible, presque hystérique, une voix que Haraldr n’avait jamais entendue. Ce fut si soudain. La crise s’est produite il y a deux jours. Il a souffert comme jamais. Et puis hier, j’ai cru que nous l’avions perdu. J’ai cru…
Les épaules déformées de Joannès se mirent à trembler spasmodiquement, et il commença à gémir. Tzintzulucès laissa l’empereur aux attentions des prêtres et posa ses bras minuscules autour de l’énorme masse du redoutable orphanotrophe qui geignait comme un enfant.
— Nous devons lui permettre de faire le sacrifice tout de suite, dit Tzintzulucès doucement. Il le faut.
Joannès tomba à genoux et se frappa la poitrine avec une violence à faire trembler les murs.
— Prenez-moi ! supplia-t-il, tourné vers l’autel. Emportez-moi à sa place !
— Je vous en prie, murmura Tzintzulucès en continuant d’apaiser le grand moine noir. Il le faut. Il lui reste si peu de temps.
Joannès se maîtrisa par un immense effort de volonté.
— Oui, murmura-t-il, et ses bras géants tremblèrent convulsivement. Oui. Il le faut…
Sa voix resta en suspens et il s’écroula sur le sol.
Tzintzulucès revint auprès de l’empereur agenouillé qui tremblait, et lui murmura quelques mots. L’empereur se mit à parler en syllabes hachées, ponctuées par des bruits de gorge. Pour simplement terminer le rituel, il lui faudrait le même courage physique et la même volonté dont il avait fait preuve contre les Bulgares.
— Seigneur sacré… Roi des rois, acceptez-moi en sacrifice… Acceptez-moi dans Votre sein sans tache… Recevez-moi en pure grâce… quand j’aurai achevé… ma consécration. Je me présente… volontairement… au sacrifice.
L’empereur releva sa tête boursouflée vers les prêtres. Ils le bénirent avec la croix et entonnèrent une longue psalmodie funèbre. Quand ils eurent répété les invocations au sacrifice du Seigneur, ils enlevèrent doucement la robe de pourpre de l’empereur, et le revêtirent d’un manteau de laine grossière. Ils ôtèrent le diadème impérial de sa tête et lui coupèrent les cheveux et la barbe. Enfin, ils lui présentèrent de nouveau la croix et s’écartèrent. Ce fut un miracle que le cadavre boursouflé demeure à genoux sans leur aide. Haraldr regarda le visage rasé de l’ancien empereur, autocrate et basileus des Romains, devenu simple moine sur le point de s’humilier aux pieds du Pantocrator devant qui tous les hommes doivent s’incliner, et il s’aperçut que les yeux du nouveau frère Michel luisaient d’un bonheur qu’il n’avait jamais vu sur le visage de l’empereur Michel.
— Je suis… prêt… à commencer mon… voyage, dit Michel d’une voix rauque tandis que des larmes de joie profonde roulaient sur ses joues cireuses, affreusement gonflées.
Halldor s’avança au côté de Haraldr. Il semblait le seul qui fût maître de ses émotions. Son manteau et son armure étaient trempés.
— Vous avez intérêt à venir, murmura-t-il.
Haraldr le suivit aussitôt dans la cour.
La femme était toute seule, debout sous la pluie, sa cape de fourrure aplatie par les gouttes froides. Haraldr ne reconnut son visage torturé qu’au moment où elle parla.
— Il faut que je le voie, dit Zoé. Il faut que je le voie avant…
L’impératrice tomba à genoux et martela de ses poings la terre trempée.
— Il faut que…
Haraldr releva Zoé et l’entraîna à l’abri du narthex. Il fit signe à Halldor de s’occuper d’elle pendant qu’il rentrait dans l’église.
On avait allongé Michel sur un brancard, et Haraldr crut qu’il avait déjà terminé son voyage. Mais la tête roula et les yeux sombres s’ouvrirent.
— Hétaïrarque, haleta-t-il. Le Pantocrator… vous a demandé… de me redonner… la vie. Maintenant, il a accepté… cette vie. Soyez béni.
Haraldr saisit les doigts monstrueusement gonflés de Michel.
— Votre épouse, lui chuchota Haraldr. Votre épouse désire vous voir.
La souffrance éclata de nouveau dans les yeux de Michel et il les referma comme si la lumière les perçait de flèches.
— Seigneur Dieu, aidez-moi, je ne peux pas… Ô Seigneur.
Il ouvrit de nouveau les yeux.
— Il faut qu’elle se souvienne de moi… tel
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