Byzance
de sa langue, mais ses yeux sombres étaient légèrement exorbités, comme s’il lisait un édit ordonnant sa propre exécution.
— Le peuple bulgare, continua-t-il, a l’habitude de payer ses impôts en nature avec une partie de ses récoltes et de ses troupeaux, non en argent et en or. Les petits paysans sur lesquels se fonde l’essentiel de nos revenus n’ont pas d’espèces sonnantes. Le Bulgaroctone en avait pris conscience, et il avait autorisé les paiements en nature au lieu d’espèces. Il en avait résulté un afflux constant de revenus et peu de mécontentement parmi les peuples soumis. La politique récente, qui a aboli les versements en nature et contraint la perception en or, a diminué nos revenus et attisé des haines contre Rome. C’est ce qui a fourni à des opportunistes comme le khan Alounsianos les arguments qui ont convaincu son peuple de se soulever contre nous. Les conséquences ont été malheur sur malheur. Nous avons perdu les revenus nécessaires pour développer les régiments taghmatiques ou engager des forces mercenaires suffisantes, tout en créant une situation qui exige l’attention constante de notre armée sur nos frontières du Nord, aux dépens de nos intérêts au Sud.
Joannès rumina ces pensées pendant un moment, tandis que sa tête dodelinait doucement, puis il s’écria :
— En vérité…
— En vérité, coupa Constantin, d’un côté nous avons la politique perspicace de notre empereur, et de l’autre les rots d’un moine ivre qui devrait peut-être envisager de retourner au cloître où il trouverait les frontières de sa cellule de cénobite moins exigeantes pour son intellect que les politiques à long terme qui président au destin de l’Empire romain.
Un magister renversa son gobelet. La tête de Joannès continua de dodeliner comme celle d’une marionnette sans fil. Enfin il parla, et l’ébriété déformait ses paroles autant et plus que la première nuit où Haraldr l’avait entendu, chez Nicéphore Argyros.
— Et que pense notre neveu de cette… suggestion ?
Les yeux de Michel parurent battre en retraite sous le regard trouble, aux paupières lourdes, de Joannès.
— Moi… Je… balbutia-t-il.
Puis il s’arrêta, et ses paroles tombèrent dans le vide comme des oiseaux percés par une flèche. Le front rouge de Constantin luisait ; il éclata soudain :
— Sa Majesté ne se soucie pas de machinations au niveau d’un orphanotrophe. Il se préoccupe des questions qui concernent la gloire éternelle de l’Empire romain et le maintien de l’hégémonie romaine sur le monde chrétien. Il est au-dessus des intrigues mesquines dans lesquelles se complaisent certains de ses serviteurs.
Tout le corps de Joannès se banda soudain d’une énergie stupéfiante, et son énorme tête de python se tourna brusquement face à Constantin.
— Lancez votre accusation, mon frère ! tonna-t-il, et toute trace d’ébriété avait disparu de sa voix.
Le visage lisse de Constantin était aussi rouge que s’il avait couru quinze tours de piste à l’Hippodrome. La fureur de ses yeux le faisait ressembler à Joannès plus que jamais. Le poing qui serrait sa pomme était blême.
— Vous avez mis notre jeune cousin au secret près de la Ville impériale ! Vous l’avez élevé à la dignité de magister sans qu’il soit présenté à la cour ! Cela sent l’intrigue à vingt lieues, mon frère ! Vos manigances ont une puanteur de trahison.
Les épaules de Constantin se redressèrent comme s’il était sur le point de se lever, mais une force contraire, plus efficace, l’en empêcha. Le visage de Joannès devint de plus en plus rouge, comme un cadavre reprenant progressivement vie. Quand il parla, il y avait une pointe de folie dans sa voix calme. Pas de peur hystérique, mais de violence démente.
— Je n’ai commis aucune trahison, mon frère. L’empereur a signé lui-même la chrysobulle créant la dignité de magister pour son jeune cousin. J’invite n’importe lequel des estimés dignitaires ici présents à examiner le document, qui se trouve maintenant au bureau du parakoimoménos.
Puis il fut debout. Ses immenses bras noirs battirent l’air. Des coupes et des assiettes tombèrent à grand bruit sur le marbre. L’empereur plongea vers le sol et s’accrocha comme un fou à la nappe en essayant de protéger son corps avec le brocart rêche. Haraldr s’était levé presque en même temps que Joannès et avait
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