Byzance
et cette splendide création ne sera plus défigurée que par une poignée de mécréants. Vous allez leur parler !
Sous les yeux stupéfaits des sénateurs, Joannès saisit une lance des mains d’un soldat. D’un geste vif, il enfonça la hampe dans l’une des amphores de terre cuite. Une huile épaisse, jaunâtre, jaillit de la fente. Joannès continua de briser l’amphore et quelque chose de blanc en sortit. Un bras humain. Lorsque le grand vase de terre fut réduit en morceaux, d’autres membres glissèrent à terre, pareils à d’énormes anguilles albinos. Une tête roula sur les dalles jusqu’aux pieds de Tziporolès. Les joues du sénateur récalcitrant devinrent plus pâles que le visage sans nez qui le regardait.
— Si vous n’êtes pas capable d’entendre l’appel à la raison de cet homme, Tziporolès, je peux vous offrir tout un chœur, lança Joannès en montrant les rangées d’amphores.
Puis il enfonça la pointe de sa lance dans la tête trempée d’huile et regarda dans les yeux le sénateur paralysé de stupeur.
— Son éloquence fait honte aux orateurs anciens, n’est-ce pas ?
C’était la même aurore qui avait inspiré le Barde immortel, mais celle-ci n’avait pas des doigts de rose : on eût dit un feu glacé qui scintillait au-dessus des dômes de Chrysopolis encore plongée dans le bleu de la nuit. Ses lueurs se diffusaient à travers le Bosphore pour envelopper les colonnes du Palais impérial d’une brume mauve. Maria et Haraldr, sur le toit en terrasse de leur palais de la ville, regardaient en silence l’horizon s’enflammer. La fraîcheur du début du printemps fit grelotter Maria, qui se glissa sous la cape de Haraldr et le serra dans ses bras. Le mouvement des chariots, des chevaux et des litières dans les rues au-dessous d’eux semblait étrangement assourdi, comme si la nature retenait les bruits pour mieux célébrer le miracle du lever du jour. Les cortèges s’avançaient avec la lenteur d’un cortège funèbre. Le dos de soie des serviteurs en livrée et les armures des gardes privés semblaient ternis par les ombres teintées de couleurs pastel des rues de Constantinople.
Maria respira à fond, annonçant qu’elle allait briser la paix du matin naissant.
— Croyez-vous que certains soient restés ?
— Cela m’étonnerait, répondit Haraldr.
Il montra un large cortège d’eunuques vêtus de soie qui arrivait au carrefour de la Mésé et de la rue de Perama.
— Regardez. C’est l’étendard de Tziporolès, l’un des hommes les plus modérés du Sénat. Jamais je n’aurais cru qu’il suivrait Joannès.
Mais il l’avait suivi, comme tous les autres sénateurs et la plupart des dignitaires, qui quittaient la ville accompagnés par leurs inévitables suites pour rejoindre Joannès dans son palais de campagne au nord de Galata.
— Y a-t-il encore de l’espoir pour l’empereur ? Pour nous ? demanda Maria.
— Oui. J’ai déjà envoyé Halldor chercher le grand domestique Camytzès pour discuter de la situation avec lui. Camytzès est un homme d’honneur. Il y a de fortes chances pour qu’il utilise la force, si nécessaire, pour défendre son empereur contre Joannès.
— Et s’il refuse ?
— On peut encore espérer que Joannès considérera l’étalage de sa puissance comme un avertissement suffisant et permettra à l’empereur de quitter ses fonctions sans fracas.
— Et si l’abdication ne se passe pas sans fracas ?
Il y avait de la crainte dans la voix de Maria, et Haraldr se rappela le regard de Joannès. Voilà pourquoi Camytzès était si important.
— Si l’abdication ne se passe pas sans fracas, je me battrai pour protéger la vie de mon empereur. Je l’ai juré, répondit Haraldr d’une voix mécanique, décrivant une stratégie déjà décidée. Il y a de grandes chances que nous puissions sauver l’empereur et fuir avec lui. Mais nos forces sont très réduites, et je ne peux pas demander à la Grande Hétaïrie d’affronter la Taghmata impériale. Avant la fin de la journée, j’aurai organisé le départ de l’impératrice, avec vous et sous mon escorte jusqu’à votre villa. Nous vous retrouverons là-bas, puis nous partirons dans le Nord.
— L’impératrice n’abandonnera pas son peuple à Joannès. Et je ne peux pas la laisser affronter Joannès toute seule. C’est ce que j’ai juré, non sur mon épée mais dans mon cœur.
Haraldr serra Maria dans ses
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