Byzance
signal, les archers de Haraldr se redressèrent et tirèrent. Les hommes de Mar, distraits par le jeu des lances, ne protégeaient plus leurs visages de leurs boucliers. Presque chaque flèche toucha son but et toute la rangée proche de la balustrade bascula ou chancela, avec les tiges empennées des flèches qui leur sortaient des mâchoires et des yeux. Haraldr et ses hommes profitèrent aussitôt de cet avantage momentané : ils enjambèrent la balustrade de marbre et repoussèrent la deuxième ligne de défense, moins nombreuse qu’ils ne s’y attendaient. Tout en enjambant les cadavres, Haraldr se demanda, soudain inquiet, pourquoi Mar avait posté un si petit nombre d’hommes à l’endroit le plus critique. Il força la défense à se replier sur la terrasse derrière le pavillon impérial. Dès qu’il parvint à l’arrière de la loge, il put voir sur sa droite la longue terrasse étroite et comprit ce que Mar lui avait réservé. Les soldats de Mar barraient la plate-forme, cinq hommes de front, presque cent hommes en profondeur, un bouchon d’acier massif. Le sceau impossible à briser du Palais impérial.
Pendant un instant les deux forces varègues hésitèrent et les bruits de métal se turent. Haraldr regarda les yeux bleus farouches des hommes de Mar, et souhaita leur offrir quelque chose de moins amer que l’acier et le sang. Mais la guerre contre les Bulgares avait réglé cette question. Il dévisagea l’homme à la fine moustache blonde juste en face de lui ; il l’avait déjà vu au Palais mais ne connaissait pas son nom. D’un mouvement rapide comme l’éclair, il leva son épée et frappa. La clavicule de l’homme se brisa, sa bouche se tordit et il tomba à genoux.
Le temps se figea. Le soleil se leva, les byrnnies, les casques et les lames d’acier brillèrent, mais aucun homme ne le remarqua. Le combat fut implacable dans sa brutalité, affrontement de guerriers expérimentés qui avaient décidé de renoncer à tous les artifices de leur métier pour échanger des coups de pure haine. Pas de cris de guerre, pas de faux courage, seulement le chœur sans relâche de l’acier sur l’acier et les chocs sourds, écœurants, des épées et des haches dans la chair. La seule différence entre leur combat et le massacre habile et mécanique d’un boucher était leur rage silencieuse.
Au début, Haraldr, Halldor, Ulfr et Hord Stefnirson se placèrent au groin d’un minuscule sanglier, en changeant de place toutes les minutes comme s’ils se passaient en relais le terrible marteau de Thor. Progressivement, ils élargirent le front de toute la largeur de la terrasse. Haraldr avait encore mal au bras depuis son épreuve au Néorion, et il remarqua que Halldor et Hord – ce dernier animé par le désir de venger son frère Joli – étaient devenus ses champions. Pendant peut-être une heure, Halldor et Hord l’emportèrent, et l’on put croire que Mar perdait quatre hommes pour chaque compagnon de Haraldr qui s’effondrait. Bientôt la résistance parut céder ; le massacre sanglant sur place se transforma en une avancée de plus en plus rapide. Haraldr lança un coup d’œil sur sa gauche et aperçut les dômes argentés du Chrysotriklinos scintiller sous le soleil matinal. S’il pouvait vivre quelques heures de plus, il serait en mesure de traiter avec l’homme couronné sous ces dômes. Mais il fallait d’abord régler la question de l’homme qui l’attendait au bout de la terrasse. Et les dieux eux-mêmes semblaient craindre cet instant. Les hommes de Mar reculèrent soudain et le tumulte du conflit s’apaisa brusquement. De derrière les rangs ensanglantés et décimés des Varègues de Mar, une voix aboya :
— Haraldr Sigurdarson ! Nous devons traiter !
Halldor voulut charger en avant pour mettre fin aux combats, mais Haraldr le retint.
— Je suis Haraldr Sigurdarson, dit-il.
Halldor resta bouche bée et le regarda avec des yeux ronds. Les rangs des Varègues, des deux côtés, firent un silence absolu. Les cris lointains qui montaient des combats du stade ne faisaient qu’augmenter leur impression de se trouver au cœur silencieux d’un tourbillon irréel. Haraldr s’avança pour affronter Mar Hunrodarson.
— Il n’y a aucune raison pour que nos hommes continuent de régler la querelle qui nous oppose, prince de Norvège.
La byrnnie de Mar brillait, sa laque impeccable, sans tache. Ses yeux semblaient des diamants et ses narines
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