Byzance
proclama Zoé, et à ses paroles un silence absolu se fit dans l’immense foule massée au-dessous d’elle. Mes enfants, je vais bien. On ne m’a fait aucun mal. Il arrive souvent qu’une mère et son fils se querellent ; il s’est produit une querelle entre mon fils, votre empereur et Père, et moi-même. Dans sa colère, il a pris des décisions dont il se repent aujourd’hui. Je suis satisfaite de sa contrition sincère. Il m’a promis qu’il respectera la dignité de votre Mère née dans la pourpre aussi longtemps qu’il portera le diadème impérial. Il a juré de faire pénitence en distribuant de la nourriture au peuple de la ville, en donnant des spectacles, en supprimant certains impôts et en relevant le plafond de bénéfice imposé aux corporations par le préfet. J’ai pris votre Père Michel dans mes bras et je lui ai pardonné. Je supplie maintenant mes enfants de lui accorder leur pardon, pour l’amour de moi.
Zoé recula d’un pas et fit le signe de la croix au-dessus de son peuple.
La première réaction fut une volée d’applaudissements de la part de certains membres des corporations, en particulier des petits commerçants qui profiteraient le plus de l’augmentation des marges de bénéfice. Puis, dans les rangs du Stoudion, une voix cria :
— Ce n’est pas notre Mère. C’est une imposture !
— C’est bien elle, lança l’Étoile bleue. Mais on l’a contrainte à se présenter ainsi. Il y a des poignards dans son dos.
— Une contrainte plus dangereuse, répondit Haraldr, la contrainte du cœur.
— Je crois qu’elle a envie d’éviter que nous versions davantage de sang, répondit Jean. Si elle est prête à nous accorder les réformes, nous n’avons aucune raison de nous quereller avec l’empereur. Il s’est montré bon pour nous avant toutes ces affaires, et puisqu’il a ramené notre Mère…
— Vous abandonneriez l’impératrice à ces hommes pendant que vous retournez à votre poisson salé et votre fromage de vache ? lança l’Étoile bleue en montrant l’entassement horrible de plus de mille morts au pied des gradins derrière elle. Nous ne sommes pas morts ici pour que le tyran puisse emprisonner notre Mère dans son Palais et apaiser les marchands avec quelques courses dans cet Hippodrome où un si grand nombre d’entre nous ont perdu la vie.
— Femme, tu n’as pas vu les morts à la porte de Chalké, répondit Jean, le visage sombre. Si nous pouvons éviter de verser du sang, il faut mettre fin au massacre. Si vos coupeurs de gorge désirent davantage de sang, qu’ils s’attaquent aux voleurs et aux putes qui sont dans leurs rangs.
Les deux factions commencèrent à se rassembler autour de leurs chefs et mêlèrent leurs voix à la dispute.
— Nous n’étions pas des putes quand nous abattions les soldats, cria une femme derrière l’Étoile bleue.
— Racaille, lancèrent plusieurs artisans. Des catins et des cambrioleurs.
Haraldr regarda les deux groupes prêts à s’affronter au bout de la piste.
— Ulfr, Halldor, cria-t-il vers le haut du stade. Faites descendre les hommes.
Il se retourna pour essayer de calmer les esprits, mais ne put se faire entendre. Bientôt on en vint aux coups. Haraldr sépara deux adversaires, mais deux autres se précipitèrent. Si seulement ses hommes pouvaient descendre avant qu’il y ait un mort… Tout assaut combiné du Palais était désormais impossible, mais une guerre civile dans la ville pas du tout improbable. Des poings s’écrasaient sur les visages. Haraldr vit jaillir du sang, et cela l’écœura davantage que tout le carnage de la matinée. Un artisan s’écroula en hurlant, les deux mains contre son ventre.
Puis les cris de la bagarre s’apaisèrent lentement, les hommes et les femmes s’arrêtèrent, sans lâcher les tuniques de leurs adversaires. L’artisan à terre continuait de gémir. Haraldr regarda par-dessus les têtes de la foule vers les portes de bronze au nord du stade. L’armée du Stoudion était en train de se diviser pour permettre à l’armée d’un autre Empire romain d’avancer au milieu d’elle. Monté sur son âne comme jadis le Christ, flanqué par des dizaines de prêtres en vêtements sacerdotaux blanc et or, pareil lui-même à une icône de pierreries dans la robe de son office, le patriarche Alexios s’avança au milieu de son peuple.
L’âne cligna des yeux ; son regard parut infiniment doux comparé aux yeux aussi sombres
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