Byzance
ce n’est pas ce que je désire, s’écria-t-elle d’une voix douce et ferme tandis que ses yeux brillaient comme des étoiles. Je veux partir avec vous plus que jamais. Forger un nouveau destin avec votre peuple. Jamais nous ne pourrions avoir une vie digne d’être vécue ici. Jamais une augusta ne pourrait épouser un… Barbare, dit-elle en baissant les yeux puis en les relevant pour croiser le regard des hommes du Nord. Zoé fera tout ce qu’elle pourra pour me garder ici. Dans le vide qui l’accable, elle en est revenue à la plus ancienne de ses passions, la maison de Macédoine. Elle m’a déjà prévenue qu’elle vous tuera pour préserver cet héritage. Comme si son oncle le Bulgaroctone avait régné sur son cœur pendant toutes ces années et qu’elle comprenait seulement maintenant les implications terribles de cet amour excessif.
Elle faillit sangloter mais se ressaisit aussitôt.
— Vous risquez tous d’être détruits à cause de moi.
— C’est un risque que je suis prêt à prendre, dit Halldor.
— Pour une fois, je n’ai rien à ajouter aux paroles de Halldor, acquiesça Ulfr.
— Puis-je poser la question à vos hommes liges ? demanda Halldor.
Haraldr regarda Maria avant d’acquiescer. Halldor se dirigea vers le bout du quai et s’arrêta devant chaque bateau. Quand il quitta le premier bateau, l’équipage se mettait déjà à l’œuvre. Le deuxième et le troisième bâtiment répondirent à la question de Halldor par les mêmes murmures sans équivoque. On sortit les avirons de la cale et on commença à détacher les amarres. Halldor revint en courant.
— Ils sont tous prêts à courir les mêmes risques que la reine de Norvège, dit-il en regardant Maria dans les yeux.
Des larmes coulèrent sur les joues de Maria. Halldor se tourna vers Haraldr :
— Mais il faut partir tout de suite.
Les avirons plongèrent dans la Corne d’Or et les proues se tournèrent vers l’est. Bientôt les lumières du Palais impérial et les fenêtres dorées entourant le dôme de Sainte-Sophie apparurent au-dessus des collines. À la hauteur de la porte de Perama, Haraldr redonna la barre à Ulfr et lui dit de mettre le cap vers le centre gauche du chenal, puis il rejoignit Halldor à la proue de la galère.
— Pas bon du tout, cria Halldor en montrant le port du Néorion. Notre départ a été signalé.
Haraldr vit distinctement des centaines de chandelles en train de grouiller autour des dromons de la flotte comme des fourmis lumineuses.
— Ils n’ont pas encore quitté le mouillage, répondit Haraldr. Nous les distancerons facilement.
— Si nous sautons par-dessus les chaînes.
Le Bosphore, illuminé par le reflet de Chrysopolis sur la côte asiatique, s’ouvrait devant eux. Ils étaient presque en face des quais du Néorion. L’un des dromons fit siffler sa sirène ; le rugissement effrayant signalait sans doute le départ de l’énorme bateau porteur du feu grégeois.
— Là-bas, cria Halldor en montrant l’endroit où la côte de Galata obliquait vers le nord. Je les vois déjà.
Les chaînes formaient un trait d’ébène sur l’eau. Haraldr cria à Ulfr d’obliquer légèrement sur bâbord pour rencontrer l’obstacle de plein fouet. Les autres bateaux firent de même et s’avancèrent à sa hauteur.
Haraldr retourna à la poupe et prit le gouvernail des mains d’Ulfr. La barrière de poutres et de métal se trouvait à trois portées de flèche devant eux. Il choisit l’endroit. Du coin de l’œil, il aperçut les lumières d’un dromon qui quittait le quai. Une autre sirène hurla au-dessus de l’eau.
— Doublez la cadence ! cria-t-il.
Aussitôt le bateau bondit en avant. Au fond de la cale, des Varègues firent glisser tous les coffres lourds vers la poupe sur des planches graissées installées la veille dans ce but. L’étrave commença à se relever et le bastingage de la poupe plongea dans les vagues. La cadence de nage devint plus rapide, on déplaça d’autres coffres et l’angle de l’étrave augmenta. La barrière des poutres parut soudain comme un mur.
— Cinquante coudées ! cria Haraldr.
Les rameurs appuyèrent de toutes leurs forces et les hommes de la cale s’arc-boutèrent. Haraldr et Ulfr immobilisèrent le gouvernail à deux mains. Maria baissa la tête. L’eau sifflait le long de la coque.
Le bois grinça contre le bois. L’étrave glissa au-dessus de la poutre flottante comme pour franchir une vague,
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