Byzance
jamais menti, alors que vous lui avez menti.
Zoé se détourna d’un mouvement de félin.
— Je l’ai aimé et je lui ai menti parce que c’était dans l’intérêt de mon État et de mon peuple de lui mentir. D’utiliser cette brute pour rehausser la puissance et la gloire de Rome.
Elle sauta du lit et se mit à arpenter la chambre.
— Par la Sainte Mère, mon enfant ! Cet homme est le prétendant au trône d’un iceberg prêt à dériver jusqu’au bout de la terre. Nous avons à notre cour presque autant d’aspirants califes et de princes en exil que de magisters séniles au Sénat. Certains d’entre eux ne sont guère que des pitres !
— Ce pitre vous a sauvé la vie, ainsi que la mienne, plus d’une fois. Il a sauvé votre empire et votre peuple du dément lamentable que vous aviez pris dans votre lit. Haraldr est le seul de vos amants qui n’ait pas mis votre peuple en danger.
Zoé s’arrêta, et ses lèvres grimaçantes se détendirent.
— Je reconnais mes… erreurs. Mais il t’est facile de critiquer ma conduite alors que tu as joui des luxes de ma cour sans aucune de ses responsabilités. Luxes, ajouterai-je, dont tu seras heureuse de conserver le souvenir dans cette Thulé maudite par le Christ.
— Oui. Le luxe d’avoir un homme de trois fois mon âge me cajoler dans mon lit puis me briser. Le luxe de mes… folles passions que vous trouviez si gaies et si charmantes. Le luxe d’avoir un cœur sombre et brisé que tous les candélabres scintillants et toutes les mosaïques dorées de ce Palais ne pouvaient pas percer d’une seule étincelle de lumière. Mon cœur sera mille fois plus brillant par les nuits d’hiver les plus froides de Norvège qu’il ne l’a jamais été dans les splendeurs de Byzance.
Zoé remonta sur le lit à côté de Maria qui sanglotait et la prit par les épaules.
— Petite fille, murmura-t-elle, je regrette de ne pas t’avoir dit la vérité la première fois que j’ai posé ta petite tête contre ma poitrine. Nous ne sommes pas ici pour être heureuses. Seulement pour servir notre peuple. Si je peux me permettre de t’offrir une mise en garde à la suite de mon amère expérience, c’est que si nous suivons notre cœur au lieu de notre véritable destin, nous finissons par nous punir, nous-mêmes et ceux que nous devons servir.
— Oui, c’est vrai pour vous, dit Maria en séchant ses larmes. Peut-être était-ce votre destin. Mais je dois vivre ma vie. J’ai un destin séparé du vôtre à présent. Je dois être auprès de lui.
— Non. Ne comprends-tu pas ? Il n’est pas ton destin.
— Mère, répondit Maria en se redressant, je partirai avec lui que vous le permettiez ou non. Je suis venue vous faire mes adieux. Je vous en supplie, laissez mon cœur s’en aller sans le poids de votre censure.
Zoé lâcha l’épaule de Maria.
— C’est un adieu seulement à l’innocence que j’ai si longtemps désirée pour toi, murmura-t-elle d’une voix sans timbre. Je comprends maintenant que je ne t’ai rien épargné en gardant le silence.
Maria se retourna vers Zoé et ne put réprimer un tressaillement. Zoé était devenue une vieille femme, le visage plus creusé et vidé de vie qu’au moment où elle avait imaginé la prophétie de sa statue.
* *
*
— Ce fut aussi simple que de séduire une pute, dit Halldor. Voilà comment ça a marché. Théodocrane est parti avec les autres à la maison de Scléréna. Comme tu le sais, il a maintenant l’autorisation de paraître devant l’empereur quand cela lui chante, sans prosternation ni même un « Salut Majesté ». Au lieu d’attendre les cinq plats du festin pendant que le Monomaque rassasiait ses propre appétits, le nain a quitté la table du banquet et s’est présenté à l’empereur pendant que Sa Majesté se présentait lui-même à Scléréna. Apparemment la nièce vertueuse du Monomaque est aussi habile que les avaleurs de sabre du Forum. C’est ce que Théodocrane a lancé à l’empereur, qui a éclaté de rire comme une chèvre sans interrompre Scléréna, chatouillée elle aussi, quoique sans doute incapable de rire. Et au milieu de cette bonne chère, Théodocrane a lancé : « Majesté, il faut que la Grande Hétaïrie inspecte le périmètre extérieur de la grande muraille ce soir. Puis-je ordonner au komès de la citadelle de les autoriser à sortir en fin d’après-midi ? »
L’empereur qui, à cet instant-là, semblait sur le point
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